Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/247

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prit, si l’on pense sérieusement que tout ce qu’il n’est pas possible de rendre d’un idiome dans un autre ne vaut pas la peine d’être rendu. S’il y a des hommes qui comptent pour rien ce charme de l’harmonie qui tient à une succession de sons graves ou aigus, forts ou faibles, lents ou rapides, succession qu’il n’est pas toujours possible de remplacer ; s’il y en a qui comptent pour rien ces images qui dépendent si souvent d’une expression, d’une onomatopée qui n’a pas son équivalent dans leur langue ; s’ils méprisent ce choix de mots énergiques dont l’âme reçoit autant de secousses qu’il plaît au poëte ou à l’orateur de lui en donner ; c’est que la nature leur a donné des sens obtus, une imagination sèche ou une âme de glace. Pour nous, nous continuerons de penser que les morceaux d’Homère, de Virgile, d’Horace, de Térence, de Cicéron, de Démosthène, de Racine, de La Fontaine, de Voltaire, qu’il serait peut-être impossible de faire passer de leur langue dans une autre, n’en sont pas les moins précieux, et loin de nous laisser dégoûter, par une opinion barbare, de l’étude des langues tant anciennes que modernes, nous les regarderons comme des sources de sensations délicieuses que notre paresse et notre ignorance nous fermeraient à jamais.

M. Colman[1], le meilleur auteur comique que l’Angleterre ait aujourd’hui, a donné, il y a quelques années, une très-bonne traduction de Térence. En traduisant un poëte plein de correction, de finesse et d’élégance, il a bien senti le modèle et la leçon dont ses compatriotes avaient besoin. Les comiques anglais ont plus de verve que de goût ; et c’est en formant le goût du public qu’on réforme celui des auteurs. Vanbrugh, Wicherley, Congrève et quelques autres ont peint avec vigueur les vices et les ridicules : ce n’est ni l’invention, ni la chaleur, ni la gaieté, ni la force, qui manquent à leur pinceau ; mais cette unité dans le dessin ; cette précision dans le trait, cette vérité dans la couleur, qui distinguent le portrait d’avec la caricature. Il leur manque surtout l’art d’apercevoir et de saisir, dans le développement des caractères

  1. Cet auteur, né en 1733, est mort à Paddington, dans une maison d’aliénés, le 14 août 1794. (Br.)