Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/254

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premiers vers de ce morceau sont très-poétiques et très-beaux :


Et toi, brillant soleil, de climats en climats
Tu poursuis vers le Nord la nuit et les frimas ;
Tu répands devant toi l’émail de la verdure :
En précédant ta route il couvre la nature ;
Et des bords du Niger, des monts audacieux
Où le Nil a caché sa source dans les cieux,
Tu l’étends par degrés de contrée en contrée
Jusqu’aux antres voisins de l’onde hyperborée.


Cela est presque aussi nombreux que Virgile et tout à fait dans le ton d’Homère.

De là le poëte passe à l’activité que le printemps rend à l’âme, à ses premiers effets sur les animaux, aux fleurs qu’il aurait très-heureusement décrites s’il y avait eu moins d’azur[1], d’émeraudes, de topazes, de saphirs, d’émaux, de cristaux sur sa palette. C’est, en général, un défaut de sa poésie, où ces mots et d’autres parasites se rencontrent trop souvent, et usque ad nauseam[2].

Il faudrait être bien dédaigneux pour ne pas lire avec plaisir l’endroit où le poëte, de retour aux champs, les salue en ces mots :


Ô forêts, ô vallons, champs heureux et fertiles !


C’est ici que le poëte éveille le rossignol :


Déjà le rossignol chante au peuple des bois ;
Il sait précipiter et ralentir sa voix ;
Ses accents variés sont suivis d’un silence,
Qu’interrompt avec grâce une juste cadence :
Immobile sous l’arbre où l’oiseau s’est placé,
Souvent j’écoute encor quand le chant a cessé.

  1. Voltaire avait senti, à cet égard, comme Diderot. Voici comme il écrivait à Saint-Lambert : « Quelques personnes vous reprochent un peu trop de flots d’azur, quelques répétitions, quelques longueurs, et souhaiteraient, dans les premiers chants, des épisodes plus frappants. (Lettre du 4 avril 1769.) (Br.)
  2. Ces derniers mots ne sont pas dans Grimm. En revanche, il y a cette note de lui : « On a compté, par exemple, combien de fois le mot voûte se trouvait dans ce premier chant, et cela est prodigieux ; à tout moment on est placé sous quelque voûte ; les guérets sont aussi innombrables. Rien ne prouve la stérilité de la tête et le froid glacial d’un poëte, comme le fréquent retour de ces mots parasites et la répétition continuelle de ces apostrophes : ô toi ! et toi ! ô vous ! et vous ! ô forêts ! ô vallons ! ô soleils ! etc. »