Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/268

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Gazette littéraire, et dont vraisemblablement vous aurez rendu compte. Vous aurez sans doute pensé comme moi, que l’Abénaki, le plus court, est certainement le plus beau. On sent le romanesque et l’apprêt dans Sara Th…, qui intéresse moins que Ziméo.

Ce dernier a excité une petite contestation entre Marmontel et M. de Saint-Lambert. Vous savez que Marmontel a fait un poëme en prose, intitulé : les Mexicains[1], qu’il se propose de publier l’année prochaine. Il y a dans un des chants de ce poëme deux esclaves sauvages, ainsi que dans le conte de Saint-Lambert. Ces deux esclaves, qui s’aiment, sont embarqués sur un vaisseau portugais dans le poëme et dans le conte. Marmontel a fait éprouver au vaisseau un long calme suivi d’une famine, et Saint-Lambert en a fait autant. Les gens de l’équipage s’égorgent et se dévorent pendant ce calme ; et ils s’égorgent et se dévorent dans les deux ouvrages. Marmontel, plus sage et plus vrai que Saint-Lambert, montre les deux esclaves amants se tenant embrassés et attendant leur dernier moment ; au lieu que Saint-Lambert les livre à toute la violence de leur amour ; et courant après un de ces contrastes singuliers du terrible et du voluptueux, il peint une jouissance au milieu des horreurs qui désolent l’équipage. Voilà la seule différence qu’il y ait entre leurs fictions. Il s’agit de savoir s’ils ont imaginé la même chose séparément, ou si M. de Saint-Lambert a eu quelque connaissance du chant de Marmontel, qui était certainement composé avant que Ziméo parût.


Non nostrum… tantas componere lites[2].

Virgil. Bucol. Eglog. iii, v. 108.


LES PIÈCES FUGITIVES.


Toutes ces pièces ont été imprimées ; leur fortune est faite. Elles sont pleines de passion et de verve. M. de Saint-Lambert se présenterait au Parnasse, n’ayant que ce petit recueil à la

  1. Les Incas. — Ce roman-poème ne parut qu’en 1777, sous ce titre : Les Incas ou la Destruction de l’empire du Pérou.
  2. « Ce qu’il y a de certain, en attendant, c’est que ce Ziméo est du faux le plus insipide et le plus puéril que je connaisse… » (Note de Grimm.)