Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Ces vers ne semblent-ils pas indiquer que Diderot ne lui avait pas laissé ignorer l’usage qu’il entendait faire de ses confidences ? Nous aimons mieux croire cela que de penser avec M. Jal que le Neveu de Rameau est une réponse à la Raméide. Tout, d’ailleurs, démontre qu’il la précéda et qu’il fut écrit à la suite d’un entretien réel, comme celui que Diderot eut quelques années plus tard avec la maréchale de Broglie[1].

M. de Saur a fait précéder sa traduction d’un portrait de pure fantaisie où Rameau, un violon sous le bras et brandissant un archet, ressemble à Cartouche, le sabre à la main, conduisant sa troupe au pillage.

M. Meissonier a intitulé un de ses tableaux le Neveu de Rameau. En voici la description faite par un maître en ce genre, Théophile Gautier.


Vous connaissez ce grand diable de neveu de Rameau, avec qui Diderot a ce dialogue d’un paradoxe si neuf, d’une verve si étincelante, d’un esprit si large et si franc ; le voilà dans un de ces bouges où il se réfugiait lorsque ses amphitryons ordinaires étaient de mauvaise humeur. L’endroit n’est pas splendide ; des images d’Épinal, tatouées de rouge, de jaune et de bleu, placardent la muraille ; sur une vieille table mousse une mesure de bière. Le neveu de Rameau, le lampion sur l’œil, une main rageusement enfoncée dans son gousset vide, la chemise fripée, croisant ses jambes, aspire la fumée de sa longue pipe de terre blanche, mais non avec cette placidité béate des fumeurs ordinaires ; sa figure chagrine et crispée a des préoccupations qui résistent aux consolations somnolentes du tabac. Il pense qu’il possède, par un accident malheureux et fait exprès pour lui, le merle blanc du siècle, une femme d’une vertu intraitable qui ne veut rien faire pour l’avancement de son mari. Le gaillard, que n’effrayent pas les couleurs voyantes, porte un habit rouge et des bas rouges, et cela va bien à son insolence de hâbleur, d’énergumène et de virtuose. Cette figure, haute de quelques pouces, est peinte avec une science, une force et un style bien rares dans les tableaux de genre même les plus estimés.

Th. Gautier, Exposition de tableaux modernes au boulevard des Italiens (1860). — Monit. univ., 20 février 1860.


Ce tableau a figuré à l’Exposition universelle de 1867 comme appartenant à M. Henri Didier et a été vendu l’année suivante avec la galerie de cet amateur, après son décès.


Deux vaudevillistes, MM. Michel Carré et Raymond Deslandes, ont fait entrer le neveu de Rameau dans une pièce intitulée : Une Journée de Diderot, jouée au Gymnase, en juin 1868. Le thème est l’histoire du testament de l’Entretien d’un père avec ses enfants. C’est Rameau qui devient l’héritier d’un traitant dont il était le bouffon, au détriment d’une malheureuse veuve et de sa fille auxquelles Diderot s’intéresse. Diderot, tenté de détruire ce testament qu’il a trouvé par hasard, en est détourné par son ami Rousseau, le Rousseau de la tradition, l’homme de la nature et de la vérité.

  1. Voyez t. II, p. 503.