Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/453

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connaître ; or, ces auteurs en ont fait des peintures excellentes. Je suis moi et je reste ce que je suis, mais j’agis et je parle comme il convient. Je ne suis pas de ces gens qui méprisent les moralistes ; il y a beaucoup à profiter, surtout avec ceux qui ont mis la morale en action. Le vice ne blesse les hommes que par intervalle ; les caractères du vice les blessent du matin au soir. Peut-être vaudrait-il mieux être un insolent que d’en avoir la physionomie ; l’insolent de caractère n’insulte que de temps en temps, l’insolent de physionomie insulte toujours. Au reste, n’allez pas imaginer que je sois le seul lecteur de mon espèce ; je n’ai d’autre mérite ici que d’avoir fait, par système, par justesse d’esprit, par une vue raisonnable et vraie, ce que la plupart des autres font par instinct. De là vient que leurs lectures ne les rendent pas meilleurs que moi, mais qu’ils restent ridicules en dépit d’eux ; au lieu que je ne le suis que quand je veux, et que je les laisse alors loin derrière moi ; car le même art qui m’apprend à me sauver du ridicule en certaines occasions, m’apprend aussi dans d’autres à l’attraper heureusement. Je me rappelle alors tout ce que les autres ont dit, tout ce que j’ai lu, et j’y ajoute tout ce qui sort de mon fonds qui est en ce genre d’une fécondité surprenante.

moi.

Vous avez bien fait de me révéler ces mystères, sans quoi je vous aurais cru en contradiction.

lui.

Je n’y suis point, car pour une fois où il faut éviter le ridicule, heureusement il y en a cent où il faut s’en donner. Il n’y a pas de meilleur rôle auprès des grands que celui de fou. Longtemps il y a eu le fou du roi en titre, en aucun il n’y a eu en titre le sage du roi. Moi, je suis le fou de Bertin et de beaucoup d’autres, le vôtre peut-être dans ce moment, ou peut-être vous le mien : celui qui serait sage n’aurait point de fou ; celui donc qui a un fou n’est pas sage ; s’il n’est pas sage il est fou ; et peut-être, fût-il le roi, le fou de son fou. Au reste, souvenez-vous que dans un sujet aussi variable que les mœurs, il n’y a rien d’absolument, d’essentiellement, de généralement vrai ou faux ; sinon qu’il faut être ce que l’intérêt veut qu’on soit, bon ou mauvais, sage ou fou, décent ou ridicule, honnête