Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/467

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui.

Et voilà ce que je vous disais : l’atrocité de l’action vous porte au delà du mépris et c’est la raison de ma sincérité. J’ai voulu que vous connussiez jusqu’où j’excellais dans mon art, vous arracher l’aveu que j’étais au moins original dans mon avilissement, me placer dans votre tête sur la ligne des grands vauriens et m’écrier ensuite : Vivat Mascarillus, fourbum imperator ! Allons, gai, monsieur le philosophe, chorus ; vivat Mascarillus, fourbum imperator !

Et là-dessus il se mit à faire un chant en fugue tout à fait singulier ; tantôt la mélodie était grave et pleine de majesté, tantôt légère et folâtre ; dans un instant il imitait la basse, dans un autre une des parties du dessus ; il m’indiquait de ses bras et de son cou allongé les endroits des tenues, et s’exécutait, se composait à lui-même un chant de triomphe où l’on voyait qu’il s’entendait mieux en bonne musique qu’en bonnes mœurs.

Je ne savais, moi, si je devais rester ou fuir, rire ou m’indigner ; je restai dans le dessein de tourner la conversation sur quelque sujet qui chassât de mon âme l’horreur dont elle était remplie. Je commençais à supporter avec peine la présence d’un homme qui discutait une action horrible, un exécrable forfait, comme un connaisseur en peinture ou en poésie examine les beautés d’un ouvrage de goût, ou comme un moraliste ou un historien relève et fait éclater les circonstances d’une action héroïque. Je devins sombre malgré moi ; il s’en aperçut et me dit :

lui.

Qu’avez-vous ? Est-ce que vous vous trouvez mal ?

moi.

Un peu ; mais cela passera.

lui.

Vous avez l’air soucieux d’un homme tracassé de quelque idée sombre.

moi.

C’est cela…


Après un moment de silence de sa part et de la mienne, pendant lequel il se promenait en sifflant et en chantant, pour le ramener à son talent, je lui dis :