Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/71

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désistement par acte authentique de toutes mes prétentions à la succession de mon père et de ma mère ; je n’épargnai rien pour leur persuader que ce n’était ici une démarche ni d’intérêt, ni de passion. Je ne m’en imposai point sur leurs sentiments ; cet acte que je leur proposais, fait tandis que j’étais encore engagée en religion, devenait invalide ; et il était trop incertain pour elles que je le ratifiasse quand je serais libre : et puis leur convenait-il d’accepter mes propositions ? Laisseront-elles une sœur sans asile et sans fortune ? Jouiront-elles de son bien ? Que dira-t-on dans le monde ? Si elle vient nous demander du pain, la refuserons-nous ? S’il lui prend fantaisie de se marier, qui sait la sorte d’homme qu’elle épousera ? Et si elle a des enfants ?… Il faut contrarier de toute notre force cette dangereuse tentative… Voilà ce qu’elles se dirent et ce qu’elles firent.

À peine la supérieure eut-elle reçu l’acte juridique de ma demande, qu’elle accourut dans ma cellule.

« Comment, sœur Sainte-Suzanne, me dit-elle, vous voulez nous quitter ?

— Oui, madame.

— Et vous allez appeler de vos vœux ?

— Oui, madame.

— Ne les avez-vous pas faits librement ?

— Non, madame.

— Et qui est-ce qui vous a contrainte ?

— Tout.

— Monsieur votre père ?

— Mon père.

— Madame votre mère ?

— Elle-même.

— Et pourquoi ne pas réclamer au pied des autels ?

— J’étais si peu à moi, que je ne me rappelle pas même d’y avoir assisté.

— Pouvez-vous parler ainsi ?

— Je dis la vérité.

— Quoi ! vous n’avez pas entendu le prêtre vous demander : Sœur Sainte-Suzanne Simonin, promettez-vous à Dieu obéissance, chasteté et pauvreté ?

— Je n’en ai pas mémoire.

— Vous n’avez pas répondu qu’oui ?