Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

traire ne se réveillent-elles pas dans le silence, la contrainte et l’oisiveté avec une violence inconnue aux gens du monde, qu’une foule de distractions emporte ? Où est-ce qu’on voit des têtes obsédées par des spectres impurs qui les suivent et qui les agitent ? Où est-ce qu’on voit cet ennui profond, cette pâleur, cette maigreur, tous ces symptômes de la nature qui languit et se consume ? Où les nuits sont-elles troublées par des gémissements, les jours trempés de larmes versées sans cause et précédées d’une mélancolie qu’on ne sait à quoi attribuer ? Où est-ce que la nature, révoltée d’une contrainte pour laquelle elle n’est point faite, brise les obstacles qu’on lui oppose, devient furieuse, jette l’économie animale dans un désordre auquel il n’y a plus de remède ? En quel endroit le chagrin et l’humeur ont-ils anéanti toutes les qualités sociales ? Où est-ce qu’il n’y a ni père, ni frère, ni sœur, ni parent, ni ami ? Où est-ce que l’homme, ne se considérant que comme un être d’un instant et qui passe, traite les liaisons les plus douces de ce monde, comme un voyageur les objets qu’il rencontre, sans attachement ? Où est le séjour de la haine, du dégoût et des vapeurs ? Où est le lieu de la servitude et du despotisme ? Où sont les haines qui ne s’éteignent point ? Où sont les passions couvées dans le silence ? Où est le séjour de la cruauté et de la curiosité ? On ne sait pas l’histoire de ces asiles, disait ensuite M. Manouri dans son plaidoyer, on ne la sait pas. Il ajoutait dans un autre endroit : « Faire vœu de pauvreté, c’est s’engager par serment à être paresseux et voleur ; faire vœu de chasteté, c’est promettre à Dieu l’infraction constante de la plus sage et de la plus importante de ses lois ; faire vœu d’obéissance, c’est renoncer à la prérogative inaliénable de l’homme, la liberté. Si l’on observe ces vœux, on est criminel ; si on ne les observe pas, on est parjure. La vie claustrale est d’un fanatique ou d’un hypocrite. »

Une fille demanda à ses parents la permission d’entrer parmi nous. Son père lui dit qu’il y consentait, mais qu’il lui donnait trois ans pour y penser. Cette loi parut dure à la jeune personne, pleine de ferveur ; cependant il fallut s’y soumettre. Sa vocation ne s’étant point démentie, elle retourna à son père, et elle lui dit que les trois ans étaient écoulés. « Voilà qui est bien, mon enfant, lui répondit-il ; je vous ai accordé trois ans pour vous éprouver, j’espère que vous voudrez bien m’en accorder