Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/257

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Le maître.

Achève donc.

Jacques.

Je m’en garderai bien ; il faut laisser au conteur…

Le maître.

Mes leçons te profitent, je m’en réjouis… Un jour le chevalier me proposa une promenade en tête à tête. Nous allâmes passer la journée à la campagne. Nous partîmes de bonne heure. Nous dînâmes à l’auberge ; nous y soupâmes ; le vin était excellent, nous en bûmes beaucoup, causant de gouvernement, de religion et de galanterie. Jamais le chevalier ne m’avait marqué tant de confiance, tant d’amitié ; il m’avait raconté toutes les aventures de sa vie, avec la plus incroyable franchise, ne me celant ni le bien ni le mal. Il buvait, il m’embrassait, il pleurait de tendresse ; je buvais, je l’embrassais, je pleurais à mon tour. Il n’y avait dans toute sa conduite passée qu’une seule action qu’il se reprochât ; il en porterait le remords jusqu’au tombeau.

« Chevalier, confessez-vous-en à votre ami, cela vous soulagera. Eh bien ! de quoi s’agit-il ? de quelque peccadille dont votre délicatesse vous exagère la valeur ?

— Non, non, s’écriait le chevalier en penchant sa tête sur ses deux mains, et se couvrant le visage de honte ; c’est une noirceur, une noirceur impardonnable. Le croirez-vous ? Moi, le chevalier de Saint-Ouin a une fois trompé, oui, trompé son ami !

— Et comment cela s’est-il fait ?

— Hélas ! nous fréquentions l’un et l’autre dans la même maison, comme vous et moi. Il y avait une jeune fille comme Mlle Agathe ; il en était amoureux, et moi j’en étais aimé ; il se ruinait en dépenses pour elle, et c’est moi qui jouissais de ses faveurs. Je n’ai jamais eu le courage de lui en faire l’aveu ; mais si nous nous retrouvons ensemble, Je lui dirai tout. Cet effroyable secret que je porte au fond de mon cœur l’accable, c’est un fardeau dont il faut absolument que je me délivre.

— Chevalier, vous ferez bien.

— Vous me le conseillez ?

— Assurément, je vous le conseille.

— Et comment croyez-vous que mon ami prenne la chose ?