Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/377

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mains vont chercher les deux confins de l’horizon ; elle est l’âme d’un grand mannequin qui l’enveloppe ; ses essais l’ont fixé sur elle. Nonchalamment étendue sur une chaise longue, les bras croisés, les yeux fermés, immobile, elle peut, en suivant son rêve de mémoire, s’entendre, se voir, se juger et juger les impressions qu’elle excitera. Dans ce moment elle est double : la petite Clairon et la grande Agrippine.

LE SECOND

Rien, à vous entendre, ne ressemblerait tant à un comédien sur la scène ou dans ses études, que les enfants qui, la nuit, contrefont les revenants sur les cimetières, en élevant au-dessus de leurs têtes un grand drap blanc au bout d’une perche, et faisant sortir de dessous ce catafalque une voix lugubre qui effraye les passants.

LE PREMIER

Vous avez raison. Il n’en est pas de la Dumesnil ainsi que de la Clairon. Elle monte sur les planches sans savoir ce qu’elle dira ; la moitié du temps elle ne sait ce qu’elle dit, mais il vient un moment sublime. Et pourquoi l’acteur différerait-il du poète, du peintre, de l’orateur, du musicien ? Ce n’est pas dans la fureur du premier jet que les traits caractéristiques se présentent, c’est dans des moments tranquilles et froids, dans des moments tout à fait inattendus. On ne sait d’où ces traits viennent ; ils tiennent de l’inspiration. C’est lorsque, suspendus entre la nature et leur ébauche, ces génies portent alternativement un œil attentif sur l’une et l’autre ; les beautés d’inspiration, les traits fortuits qu’ils répandent dans leurs ouvrages, et dont l’apparition subite les étonne eux-mêmes, sont d’un effet et d’un succès bien autrement assurés que ce qu’ils ont jeté de boutade. C’est au sang-froid à tempérer le délire de l’enthousiasme.

Ce n’est pas l’homme violent qui est hors de lui-même qui dispose de nous ; c’est un avantage réservé à l’homme qui se possède. Les grands poètes dramatiques surtout sont spectateurs assidus de ce qui se passe autour d’eux dans le monde physique et dans le monde moral.

LE SECOND

Qui n’est qu’un.