Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/410

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Concluons de là qu’il est faux qu’ils en aient le privilège spécial, et que la sensibilité qui les dominerait dans le monde comme sur la scène, s’ils en étaient doués, n’est ni la base de leur caractère ni la raison de leurs succès ; qu’elle ne leur appartient ni plus ni moins qu’à telle ou telle condition de la société, et que si l’on voit si peu de grands comédiens, c’est que les parents ne destinent point leurs enfants au théâtre ; c’est qu’on ne s’y prépare point par une éducation commencée dans la jeunesse ; c’est qu’une troupe de comédiens n’est point, comme elle devrait l’être chez un peuple où l’on attacherait à la fonction de parler aux hommes rassemblés pour être instruits, amusés, corrigés, l’importance, les honneurs, les récompenses qu’elle mérite, une corporation formée, comme toutes les autres communautés, de sujets tirés de toutes les familles de la société et conduits sur la scène comme au service, au palais, à l’église, par choix ou par goût et du consentement de leurs tuteurs naturels.

LE SECOND

L’avilissement des comédiens modernes est, ce me semble, un malheureux héritage que leur ont laissé les comédiens anciens.

LE PREMIER

Je le crois.

LE SECOND

Si le spectacle naissait aujourd’hui qu’on a des idées plus justes des choses, peut-être que… Mais vous ne m’écoutez pas. À quoi rêvez-vous ?

LE PREMIER

Je suis ma première idée, et je pense à l’influence du spectacle sur le bon goût et sur les mœurs, si les comédiens étaient gens de bien et si leur profession était honorée. Où est le poète qui osât proposer à des hommes bien nés de répéter publiquement des discours plats ou grossiers ; à des femmes à peu près sages comme les nôtres, de débiter effrontément devant une multitude d’auditeurs des propos qu’elles rougiraient d’entendre dans le secret de leurs foyers ? Bientôt nos auteurs dramatiques atteindraient à une pureté, une délicatesse, une élégance dont ils sont plus loin encore qu’ils ne le soupçonnent. Or, doutez-vous que l’esprit national ne s’en ressentît ?