Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/103

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CARLE VAN LOO[1].


Enfin nous l’avons vu ce tableau fameux de Jason et Médée[2], par Carle Van Loo. Ô mon ami, la mauvaise chose ! C’est une décoration théâtrale avec toute sa fausseté ; un faste de couleur qu’on ne peut supporter ; un Jason d’une bêtise inconcevable. L’imbécile tire son épée contre une magicienne qui s’envole dans les airs, qui est hors de sa portée, et qui laisse à ses pieds ses enfants égorgés. C’est bien cela ! Il fallait lever au ciel des bras désespérés, avoir la tête renversée en arrière ; les cheveux hérissés ! une bouche ouverte qui poussât de longs cris, des yeux égarés… Et puis, une petite Médée[3], courte, raide, engoncée, surchargée d’étoffes ; une Médée de coulisses ; pas une goutte de sang qui tombe de la pointe de son poignard et qui coule sur ses bras ; point de désordre, point de terreur. On regarde, on est ébloui et on reste froid. La draperie qui touche au corps a le mat et les reflets d’une cuirasse ; on dirait d’une plaque de cuivre jaune. Il y a sur le devant un très-bel enfant renversé sur les degrés arrosés de son sang ; mais il est sans effet. Ce peintre ne pense ni ne sent : un char d’une pesanteur énorme ! Si ce tableau était un morceau de tapisserie, il faudrait accorder une pension au teinturier. J’aime mieux ses Baigneuses[4] : c’est un autre tableau, où l’on voit des femmes nues au sortir du bain ; l’une, par devant, à qui l’on présente une chemise, et l’autre par derrière. Celle-ci n’a pas le visage agréable ; je lui trouve le bas des reins plat, elle est noire, ses chairs sont molles. La main droite de l’autre m’a paru, sinon estropiée et trop petite, du moins désagréable ; elle a les doigts recourbés. Pourquoi ne les avoir pas étendus ? La figure serait mieux appuyée sur le plat de la main, et cette main aurait été d’un meilleur choix. Il y a de la volupté dans ce

  1. Charles-André, dit Carle Van Loo, élève de son frère aîné Jean-Baptiste Van Loo, né à Nice le 15 février 1705, mort à Paris le 15 juillet 1763, était alors écuyer, chevalier de l’ordre de Saint-Michel, recteur de l’Académie depuis 1754, directeur de l’École royale des élèves protégés.
  2. Tableau de 10 pieds de large sur 7 de haut ; n°7.
  3. C’était Mlle Clairon qui avait servi de modèle. Le Jason était Le Kain. Vendu 1,200 livres, vente Julienne, 1777.
  4. Tableau de 7 pieds de haut sur 6 de large ; no 8. Chez M. de Fontferrière ; gravé par Lempereur.