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PENSÉES DÉTACHÉES

— Si je surprenais mon fils se polluant aux pieds de cette statue, je n’y manquerais pas. » J’ai vu une fois une clef de montre imprimée sur les cuisses d’un plâtre voluptueux.

*

Un tableau, une statue licencieuse est peut-être plus dangereuse qu’un mauvais livre ; la première de ces imitations est plus voisine de la chose. Dites-moi, littérateurs, artistes, répondez-moi ; si une jeune innocente avait été écartée du chemin de la vertu par quelques-unes de vos productions, n’en seriez-vous pas désolés ; et son père vous pardonnerait-il, et sa mère n’en mourrait-elle pas de douleur ? Que vous ont fait ces parents honnêtes, pour vous jouer de la vertu de leurs enfants et de leur bonheur[1] ?

*

Je voudrais que le remords eût son symbole, et qu’il fût placé dans tous les ateliers.

*

La sérénité n’habite que dans l’âme de l’homme de bien ; il fait nuit dans celle du méchant.

*

Je n’aime pas qu’Apollon, poursuivant Daphné, soit respectueux. Il est nu ; et la nymphe qu’il poursuit est nue. S’il retire son bras en arrière, s’il craint de la toucher, c’est un sot ; s’il la touche, l’artiste est un indécent. La touchât-il avec le revers de la main, comme on le voit dans le tableau de Lairesse, le spectateur dira : « Seigneur Apollon, vous ne l’arrêterez pas comme cela ; si vous craignez qu’elle ne s’enfuie pas assez vite, vous vous y prenez fort bien… — Mais peut-être que le dieu avait la peau du dessus de la main douce, et celle du dedans rude. — Laissez-moi en repos ; vous n’êtes qu’un mauvais plaisant. »

*

Vous entrez dans un appartement, et vous dites : « Il y a bien du monde ; » ou : « On étouffe ici ; » ou : « Il n’y a per-

  1. Voyez Salon de 1767, t. XI, p. 189.