Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIII.djvu/141

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vertes aujourd’hui, qu’on n’entrevoyait pas alors ? La vraie philosophie était au berceau ; la géométrie de l’infini n’était pas encore ; la physique expérimentale se montrait à peine ; il n’y avait point de dialectique ; les lois de la saine critique étaient entièrement ignorées. Descartes, Boyle, Huyghens, Newton, Leibnitz, les Bernoulli, Locke, Bayle, Pascal, Corneille, Racine, Bourdaloue, Bossuet, etc., ou n’existaient pas, ou n’avaient pas écrit. L’esprit de recherche et d’émulation n’animait pas les savants : un autre esprit, moins fécond peut-être, mais plus rare, celui de justesse et de méthode, ne s’était point soumis les différentes parties de la littérature ; et les académies, dont les travaux ont porté si loin les sciences et les arts, n’étaient pas instituées.

Si les découvertes des grands hommes et des compagnies savantes dont nous venons de parler offrirent dans la suite de puissants secours pour former un dictionnaire encyclopédique, il faut avouer aussi que l’augmentation prodigieuse des matières rendit, à d’autres égards, un tel ouvrage beaucoup plus difficile. Mais ce n’est point à nous à juger si les successeurs des premiers encyclopédistes ont été hardis ou présomptueux ; et nous les laisserions tous jouir de leur réputation, sans en excepter Éphraïm Chambers, le plus connu d’entre eux, si nous n’avions des raisons particulières de peser le mérite de celui-ci.

L’Encyclopédie de Chambers, dont on a publié à Londres un si grand nombre d’éditions rapides ; cette Encyclopédie qu’on vient de traduire tout récemment en italien, et qui, de notre aveu, mérite en Angleterre et chez l’étranger les honneurs qu’on lui rend, n’eût peut-être jamais été faite, si, avant qu’elle parût en anglais, nous n’avions eu, dans notre langue, des ouvrages où Chambers a puisé sans mesure et sans choix la plus grande partie des choses dont il a composé son dictionnaire. Qu’en auraient donc pensé nos Français, sur une traduction pure et simple ? Il eût excité l’indignation des savants et le cri du public, à qui on n’eût présenté, sous un titre fastueux et nouveau, que des richesses qu’il possédait depuis longtemps.

Nous ne refusons point à cet auteur la justice qui lui est due. Il a bien senti le mérite de l’ordre encyclopédique ou de la chaîne par laquelle on peut descendre sans interruption des