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LE MONUMENT
DE
LA PLACE DE REIMS[1]
1760




Il est une connaissance entièrement négligée par ceux qui sont à la tête de l’administration : c’est celle de l’architecture. Cependant ce sont eux qui ordonnent les monuments publics, qui font le choix des artistes, à qui l’on présente les plans, et qui décident de ce qu’il convient d’exécuter. Comment s’acquitteront-ils de cette partie de leurs fonctions qui touche de si près à l’honneur de la nation, dans le moment et dans l’avenir, s’ils sont sans principes, sans lumières et sans goût ? Il en coûtera des sommes immenses, et nous n’aurons que des édifices petits et mesquins. Il n’y a point de sottises qui durent plus longtemps et qui se remarquent davantage que celles qui se font en pierre et en marbre. Un mauvais ouvrage de littérature passe et s’oublie ; mais un monument ridicule subsiste pendant des siècles, avec la date du règne sous lequel il a été construit. Il faut avoir la vue bien courte ou bien longue pour négliger cette considération.

On multiplie en France les grands édifices de tous côtés. Il n’y a presque pas une ville considérable où l’on ne veuille avoir une place, une statue en bronze du souverain, un hôtel de ville, une fontaine, et l’on ne pense pas qu’une seule grande et belle chose honorerait plus la nation qu’une multitude de monuments ordinaires et communs. Actuellement on est occupé à construire une place à Reims. Il n’a pas dépendu de M. Soufflot, qui est à la tête de nos architectes, qu’on ne vit

  1. Cet article se trouve dans la Correspondance littéraire de Grimm, 1er juillet 1750, sans indication du nom de l’auteur. M. Taschereau, à plusieurs indices, croyait y reconnaître la main de Diderot. Il n’en aurait pas douté s’il avait comparé les idées qui y sont émises et celles que Grimm attribue à Diderot dans la note sur la gravure, par Moitte, du monument de Reims, dans le Salon de 1765, t. X, p. 451.