Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/308

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puisque je ne m’aperçois pas qu’il vous parvienne un mot de moi.

C’est un pieux M. de Saint-Fargeau qui a jugé le colporteur et le garçon épicier[1]. Ce même homme opinait, il y a peu de temps, à appliquer un fils à la question pour le rendre accusateur de son père ; il disait qu’il y avait des casuistes qui autorisaient cette atrocité. Un jeune conseiller lui répondit : « J’ai peu lu vos casuistes ; j’ignore ce qu’ils permettent ; mais je connais la nature qui les défend. »

Croiriez-vous bien que cette fille qui a été baptisée garçon risque de perdre son état ? et cela vraisemblablement par une étourderie de sacristain.

Vous ai-je dit que j’avais appris, découvert par la voie de Pantin et de Mlle Guimard, que ce dîner clandestin avec M. Dubucq devait se faire chez Mme de Coaslin ? J’ai beau lire et relire vos lettres, elles ne me rappellent jamais ce que je vous ai ou n’ai pas dit.

J’avais trois amis : j’étais froidement avec l’un ; presque brouillé avec l’autre ; le troisième était malade à mourir. Cette position m’avait causé un tel dégoût des hommes, que j’ai été sur le point de me claquemurer.

Le Baron est de retour ; je dînai hier lundi avec lui. Cela s’est un peu rajusté. L’abbé Galiani y était ; il prêcha beaucoup contre l’exportation des grains, et cela par une raison qui n’est pas commune : c’est qu’il faut laisser subsister les mauvaises lois partout où il n’y a pas dans le ministère des hommes d’assez de tête pour faire exécuter les bonnes en pourvoyant aux inconvénients des innovations les plus avantageuses.

Il prêcha contre la faveur accordée à l’agriculture par une raison très-bizarre : il disait que l’agriculture était la plus importante des conditions, et qu’il avait fallu plus de quatre mille ans d’efforts pour l’avilir, et que chercher à la tirer de cet avilissement c’était travailler à réduire les ducs et pairs à rien, et à mener le roi dans son Parlement accompagné de douze boulangers. « D’accord, l’abbé, lui répondis-je ; mais dans douze mille ans d’ici. » Oh ! combien de choses on peut faire sans conséquence pour les laboureurs, avant que le cortège du roi en soit composé !

  1. Voir précédemment, p. 283.