Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/320

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ches de tous côtés ; il m’en vient d’Isle par mon amoureuse, il m’en vient de la rue des Vieux-Augustins par Mme Bouchard, il m’envient de la rue Sainte-Anne par M. Digeon ; et ceux que je me fais à moi-même, je vous assure que ce ne sont pas les moins durs. Malgré ma négligence, si vous ne voulez pas me châtier trop durement, croyez que je vous suis aussi tendrement attaché que jamais.

J’oubliais, parmi les occupations qui prennent mon temps, les soins que je prends de l’éducation de mon enfant : ah ! mademoiselle, la jolie enfant que j’ai là. Je vous jure qu’elle vous ferait tourner la tête à toutes. Il est incroyable le chemin que cette imagination a fait toute seule, combien cela a rêvé ! combien cela a réfléchi ! combien cela a vu de choses ! Il y a quelques jours que je lui confiai un ouvrage assez fort pour son âge ; à moitié de la lecture, elle me dit : « Cet homme-là ne m’a rien appris jusqu’à présent ; j’en savais autant que lui » ; et je jugeai aux réponses qu’elle fit à mes questions qu’elle disait vrai. Voilà tout mon bonheur pendant votre absence.

Bonjour, mes bonnes et tendres amies, comptez que les moments que je pourrai vous refuser, je vous les restituerai bien à votre retour. Je me prosterne aux pieds de maman, et je la supplie de ne me plus faire les gros yeux. Je tâcherai à l’avenir d’être un peu plus joli garçon. J’embrasse Mme de Blacy de tout mon cœur. Vous, mademoiselle, tendez-moi la main et faisons la paix. Quand j’y pense, je ne conçois pas moi-même comment on peut alarmer, inquiéter, faire du mal à celle qu’on aime, quand il ne faut que quatre lignes bien douces pour le lui épargner, et que l’âme, toujours la même, en dicterait un cent tout de suite. Je vous prie de dire à Mme de Blacy que je n’ai rien négligé jusqu’à présent de toutes les petites commissions qu’elle m’a données ; je ne désespère point des bons offices de M. Fontaine : un homme qui craint de s’éloigner sans donner signe de vie me paraît bien intentionné. M. Fontaine m’est venu voir purement et simplement pour me rassurer sur son silence et son absence. J’oubliais de vous dire que j’avais risqué d’aller voir Mme Bouchard, et que j’avais été effrayé au premier aspect de son mari ; il faut qu’il ait été à toute extrémité. J’ai bien peur qu’elle n’ait un peu enchéri sur les injures dont on l’avait chargée pour moi.