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été supprimé, contre les Dialogues de l’abbé Galiani ; je ne l’ai pas encore ouvert ; le Baron, qui l’a parcouru, m’a dit qu’il était plein d’amertume.

Adieu, mes amies, mes bonnes, tendres et respectables amies ; ne soyez inquiètes ni de ma santé, ni de mon amitié. Écoutez bien : je ne suis ni injuste, ni fou ; je vous aime et vous aimerai toute ma vie, toute la vôtre. Il faudrait, pour le mieux, mourir tous le même jour ; mais comme il ne faut pas s’y attendre, je jure de rester aux deux qui auront le malheur de survivre ; je jure de rester à celle qui survivra. Bonjour, mademoiselle Volland, mon cœur est le même ; je vous l’ai dit, et je ne mens pas.


CXXXIII


Paris, le 20 novembre 1770.
Mesdames et bonnes amies,

J’ai fait un second voyage au Grandval. J’y ai passé la vie la plus agréable ; des jours partagés entre le travail, la bonne chère, la promenade et le jeu ; et puis cette liberté illimitée qu’accorde la maîtresse de la maison à ses hôtes, et qu’en vérité l’on n’a pas chez soi.

Je suis revenu à Paris quatre ou cinq jours après la Saint-Martin, l’âme pleine d’inquiétude. Si j’étais homme à pressentiments, je vous dirais que j’en avais. Il est inouï tout ce que j’ai souffert depuis mon retour ; sans la distraction d’un travail forcé, je crois que j’en serais devenu fou. Premièrement, une scène violente entre le Baron et moi ; scène dans laquelle le tort était de mon côté. Secondement, toutes sortes de commissions déplaisantes du prince de Galitzin, de Grimm et d’autres. Troisièmement, mes attaques de néphrétique, plus faibles, mais toujours fort incommodes. Quatrièmement, et cela est à la lettre, le remords continuel de me dire perpétuellement : Il faut écrire à mes amies, elles sont inquiètes ; ce silence les trouble ; et d’arriver d’un jour à l’autre au lendemain sans l’avoir fait.