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II

À LA MÊME, À VARSOVIE.


Ce n’est pas vous, mademoiselle, qui pouviez vous offenser de ma lettre ; mais c’était peut-être madame votre mère. En y regardant de plus près, vous auriez deviné que je n’insistais d’une manière si pressante sur le besoin qu’elle avait de vos secours que pour ne vous laisser aucun doute sur la vérité de son accident. Ces secours sont arrivés à temps, et je suis bien aise de voir que votre âme a conservé sa sensibilité et son honnêteté, en dépit de l’épidémie de votre état, dont je ferais le plus grand cas si ceux qui s’y engagent avaient seulement la moitié autant de mœurs qu’il exige de talents. Mademoiselle, puisque vous avez eu le bonheur d’intéresser un homme habile et sensé, aussi propre à vous conseiller sur votre jeu que sur votre conduite, écoutez-le, ménagez-le, dédommagez-le du désagrément de son rôle par tous les égards et toute la docilité possibles : je me réjouis bien sincèrement de vos premiers succès ; mais songez que vous ne les devez en partie qu’au peu de goût de vos spectateurs. Ne vous laissez pas enivrer par des applaudissements de si peu de valeur. Ce n’est pas à vos tristes Polonais, ce n’est pas aux barbares qu’il faut plaire, c’est aux Athéniens. Tous les petits repentirs dont vos emportements ont été suivis devraient bien vous apprendre à les modérer. Ne faites rien qui puisse vous rendre méprisable. Avec un maintien honnête, décent, réservé, le propos d’une fille d’éducation, on écarte de soi toutes ces familiarités insultantes que l’opinion, malheureusement trop bien fondée, qu’on a d’une comédienne, ne manque presque jamais d’appeler à elle, surtout de la part des étourdis et des gens mal élevés qui ne sont rares dans aucun endroit du monde. Faites-vous la réputation d’une bonne et honnête créature. Je veux bien qu’on vous applaudisse, mais j’aimerais encore mieux qu’on pressentît que vous étiez destinée à autre chose qu’à monter sur des tréteaux, et que sans trop savoir la suite d’événements fâcheux qui vous a conduite