Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/123

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dix pièces ! Mais heureusement l’idée d’un monde résultant de la combinaison fortuite d’une matière homogène est moins folle que la supposition qu’il ne restera de ces grands hommes que la balbutie de leur enfance et de leur décrépitude.

C’est une plaisanterie bien cruelle et bien injuste que de réduire à l’insipide et froid colossal tout le mérite du Jupiter de Phidias. Concevez-vous l’abus que vous faites de votre gaieté, et jusqu’où vous en pourriez être la victime ? Ce ne fut point, mon ami, pour avoir taillé un Jupiter énorme que Phidias fut admiré de son temps et que la postérité l’a préconisé ; ce fut pour avoir donné à Jupiter une tête qui faisait trembler le méchant, ce fut pour avoir bien rendu le Jupiter du catéchisme païen, le dieu qui ébranlait l’Olympe du mouvement seul de ses noirs sourcils. Les beaux pieds de Thétis étaient de foi, les belles épaules d’Apollon étaient de foi, les flancs redoutables de Mars, la large poitrine de Neptune, les fesses rebondies de Ganymède étaient de foi, la tête majestueuse et menaçante de Jupiter était de foi ; et si Phidias n’eût pas rendu la menace et la majesté de Jupiter, le bloc de marbre hérétique serait demeuré dans son atelier. Quelque jour, peut-être, je vous lirai des idées qui ne m’échapperont plus, parce qu’elles sont consignées sur le papier, sur l’influence réciproque de la religion, de la poésie, de la peinture, de la sculpture sur la nature, et de la nature sur les beaux-arts ; mais ce n’est pas ici le lieu. Venez me voir.

Vous tournez à tout vent ; vous faites flèche de tout bois ; vous avez toutes sortes d’armes ; vous combattez de toute manière ; tantôt vous faites face et tirez votre flèche avec force ; tantôt vous avez l’air d’un homme qui fuit et vous retournez votre arc en arrière. Ici le public est une bête qui ne sait ce qu’il dit, et l’homme qui peut avaler son insipide éloge a le palais le moins délicat. Là c’est un juge éclairé, et sa louange, le murmure le plus flatteur. Tâchez de vous accorder.

Le peuple, mon ami, n’est à la longue que l’écho de quelques hommes de goût, et la postérité, que l’écho du présent rectifié par l’expérience.

Je ne sais si Pline est un petit radoteur, mais il est sage à vous de n’avoir confié cette rare découverte qu’à l’oreille de votre ami. Connaissez-vous bien ce Pline dont vous parlez si