Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/447

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jugement dans la conduite, rien de sublime dans les détails ; le seul moment où l’on soit affecté, c’est celui où Spartacus demande pardon à Noricus de l’injure qu’il lui a faite. Mais à quoi cela tient-il ? Qu’est-ce que cela fait à l’action ? Il y a du mérite à avoir imaginé la déclaration d’Émilie à Spartacus. Le dénoûment a déplu, parce que c’est, je crois, une imitation de la mort d’Aria et de Pœtus. Je ne blâme pas qu’on cherche son dénoûment dans l’histoire. Alors il est impossible qu’il soit faux : mais il ne faut pas que le spectateur s’aperçoive de cet emprunt. Il se rappelle le trait historique, et il n’est plus étonné. Il y a une scène entre Spartacus et Crassus, député des Romains, dont le commencement m’a paru dialogué : c’est l’endroit où Spartacus répond à l’offre qu’on lui fait d’une place au sénat :


Au temps des Scipions j’aurais pu l’accepter.


Vous venez me proposer des conditions : c’est, ce me semble, prendre le rôle du vainqueur. Que parlez-vous de sénat ? C’est à moi de décider s’il doit encore y avoir un sénat ou non. Le poète a beaucoup travaillé ; mais il n’avait pas le génie, sans lequel le travail coûte beaucoup et ne produit rien. Je vous dirais encore là-dessus beaucoup d’autres choses, mais vous les aurez senties comme moi. Pourquoi Crassus ne voit-il pas sa fille avant Spartacus ? Croyez-vous que cette scène n’eût pas été très-intéressante ? Le poëte a tout sacrifié au rôle de Spartacus ; et, en cela, il a bien fait ; mais il ne s’est pas aperçu que ce n’était pas assez de le montrer grand, il fallait encore le montrer malheureux. Vous ajouterez à cela tout ce qu’il vous plaira.

J’avais espéré que vous n’entendriez pas la petite pièce ; mais je vois que je me suis trompé. Je ne vous verrai donc qu’un instant. Bonsoir, mon amie. J’ai encore eu de la tracasserie d’auteur jusque par-dessus les oreilles depuis que je ne vous ai vue. Imaginez qu’avant-hier, au moment que j’étais incertain si j’irais dîner chez le Baron où je n’ai pas paru depuis quinze jours, ou au Jardin du Roi où j’étais invité avec mon évêque, Le Breton m’a enlevé pour aller travailler chez lui depuis onze heures du matin jusqu’à onze heures du soir. C’est toujours la