Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/60

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avertis, et bien plus fortement que moi, les propositions avantageuses qu’on leur fait et qu’ils ont encore le courage de rejeter. Parce que les taureaux ont des cornes et qu’ils entrent quelquefois en fureur, serez-vous assez vifs et assez bêtes pour ne vouloir plus commander qu’à des bœufs ? Vous n’avez pas de sens, vous ne savez ce que vous voulez.

Vous ajoutez que la perpétuité du privilège laissant le commerçant maître absolu du prix de son livre, il ne manquera pas d’abuser de cet avantage. Si votre commerçant ignore que son intérêt réel est dans la consommation rapide et dans la prompte rentrée de ses fonds, il est le plus imbécile des commerçants. D’ailleurs protégez les privilégiés tant qu’il vous plaira ; ajoutez des punitions infamantes aux peines pécuniaires portées par les règlements ; dressez même des gibets, et la cupidité du contrefacteur les bravera. Je vous l’ai déjà dit et l’expérience avant moi, mais rien ne vous instruit, je défie un libraire de porter un ouvrage au-delà d’un prix qui compense les hasards du contrefacteur et les dépenses de l’étranger, sans que, malgré toute sa vigilance appuyée de toute l’autorité du magistrat, il n’en paraisse trois ou quatre contrefaçons dans l’année. Rappelez-vous qu’il ne s’agit ici que d’ouvrages courants et qui ne demandent qu’un coup de main.

Je pourrais proposer au magistrat à qui il est de règle de présenter le premier exemplaire d’un livre nouveau, d’en fixer lui-même le prix ; mais cette fixation, pour être équitable, suppose des connaissances de détail qu’il ne peut ni avoir ni acquérir, il est presque aussi sûr et plus court de s’en rapporter à l’esprit du commerce. J’ajouterai peut-être qu’entre ces sortes, les livres du plus haut prix ne sont pas aux privilégiés, mais je ne veux indisposer personne.

On dit encore : Lorsqu’un libraire a fait un lucre honnête sur un ouvrage, n’est-il pas juste qu’un autre en profite ? Et pourquoi n’en gratifierait-on pas celui qui l’a bien mérité par quelque grande entreprise ?

En vérité je ne sais pourquoi je m’occupe à répondre sérieusement à des questions qui ne peuvent être suggérées que par la stupidité la plus singulière ou l’injustice la plus criante ; mais si ce n’est pas à la chose, c’est au nombre qu’il faut avoir égard.