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brassât une plus grande partie de l’espace sur lequel elle a distribué les malheureux. C’est un assez beau rôle. Je vis à la campagne. J’y vis seul ; c’est là que j’abrège les jours et que j’allonge les années ; le travail est la cause de ces deux effets qui semblent opposés. Le jour est bien long pour celui qui n’a rien à faire ; et l’année bien longue pour celui qui a beaucoup fait. Puissiez-vous, entre le premier janvier et le dernier décembre, intercaler trois cent soixante-cinq bonnes actions ! Cela serait bien au-dessus de trois cent soixante belles pages. Je voulais vous écrire trois lignes et voilà bientôt quatre pages ; et cela me rappelle un temps qui n’est pas éloigné où je me proposais de ravir à Mme Necker trois minutes et où je lui ravissais trois heures ; mais j’ai là sur ma table un certain philosophe ancien, homme dur, stoïcien de son métier, qui m’avertit de finir et de n’être pas indiscret.

Je suis avec respect, madame, etc.


LXXVI

AU CHEVALIER DE LANGEAC[1].
Samedi.
Monsieur le chevalier,

Je vous prie de vous rappeler la parole que vous m’avez donnée. Notre position devient tout à fait fâcheuse. Acquérez deux belles choses et qui s’embelliront tous les jours en vous montrant un acte de bienfaisance. Lorsque je cède à un autre le mérite d’une bonne œuvre, c’est toujours un sacrifice que je fais. Si vous pouvez, faites. Si vous ne pouvez pas, après vous être endetté cinquante fois pour le vice, endettez-vous une fois pour la vertu. Jugez de notre misère par la vivacité de mes sollicitations. Ce que je vous dis d’un autre, je ne rougirais pas de vous le dire pour moi. Je vous aime pour votre caractère ; je

  1. Inédite. Collection de feu M. Rathery. La suscription porte : À Monsieur, Monsieur le chevalier de Langeac, rue d’Anjou, faubourg Saint-Honoré, dans la maison ci-devant occupée par Mme de Coaslin.