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lieu qu’en Grec le z est toûjours z, & sigma toûjours sigma.

Notre e a pour le moins quatre sons différens ; 1°. le son de l’e commun, comme en père, mère, frère ; 2°. le son de l’e fermé, comme en bonté, vérité, aimé ; 3°. le son de l’e ouvert, comme bête, tempête, fête ; 4°. le son de l’e muet, comme j’aime ; 5°. enfin souvent on écrit e, & on prononce a, comme Empereur, enfant, femme ; en quoi on fait une double faute, disoit autrefois un Ancien : premierement, en ce qu’on écrit autrement qu’on ne prononce : en second lieu, en ce qu’en lisant, on prononce autrement que le mot n’est écrit. Bis peccatis, quod aliud scribitis, & aliud legitis quam scriptum est, & scribenda sunt ut legenda, & legenda ut scripta sunt. Marius Victorinus, de Orthog. apud Vossium de arte Gramm. tom. I. p. 179. « Pour moi, dit aussi Quintilien, à moins qu’un usage bien constant n’ordonne le contraire, je crois que chaque mot doit être écrit comme il est prononcé ; car telle est la destination des lettres, poursuit-il, qu’elles doivent conserver la prononciation des mots ; c’est un dépôt qu’il faut qu’elles rendent à ceux qui lisent, de sorte qu’elles doivent être le signe de ce qu’on doit prononcer quand on lit » : Ego nisi quod consuetudo obtinuerit, sic scribendum quidque judico quomodo sonat : hic enim usus est litterarum, ut custodiant voces & velut depositum reddant legentibus ; itaque id exprimere debent, quod dicturi sunt. Quint. Inst. orat. L. I. c. vij.

Tel est le sentiment général des Anciens ; & l’on peut prouver 1°. que d’abord nos Peres ont écrit conformément à leur prononciation, selon la premiere destination des lettres ; je veux dire qu’ils n’ont pas donné à une lettre le son qu’ils avoient déja donné à une autre lettre, & que s’ils écrivoient Empereur, c’est qu’ils prononçoient empereur par un é, comme on le prononce encore aujourd’hui en plusieurs Provinces. Toute la faute qu’ils ont faite, c’est de n’avoir pas inventé un alphabet François, composé d’autant de caracteres particuliers, qu’il y a de sons différens dans notre langue ; par exemple, les trois e devroient avoir chacun un caractere propre, comme l’ε, & l’η des Grecs.

2°. Que l’ancienne prononciation ayant été fixée dans les livres où les enfans apprenoient à lire, après même que la prononciation avoit changé ; les yeux s’étoient accoûtumés à une maniere d’écrire différente de la maniere de prononcer ; & c’est de-là que la maniere d’écrire n’a jamais suivi que de loin en loin la maniere de prononcer ; & l’on peut assûrer que l’usage qui est aujourd’hui conforme à l’ancienne orthographe, est fort différent de celui qui étoit autrefois le plus suivi. Il n’y a pas cent ans qu’on écrivoit il ha, nous écrivons il a ; on écrivoit il est nai, ils sont nais, nati, nous écrivons ils sont nés ; soubs, nous écrivons sous ; treuve, nous écrivons trouve, &c.

3°. Il faut bien distinguer la prononciation d’avec l’orthographe : la prononciation est l’effet d’un certain concours naturel de circonstances. Quand une fois ce concours a produit son effet, & que l’usage de la prononciation est établi, il n’y a aucun particulier qui soit en droit de s’y opposer, ni de faire des remontrances à l’usage.

Mais l’orthographe est un pur effet de l’art ; tout art a sa fin & ses principes, & nous sommes tous en droit de représenter qu’on ne suit pas les principes de l’art, qu’on n’en remplit pas la fin, & qu’on ne prend point les moyens propres pour arriver à cette fin.

Il est évident que notre alphabet est défectueux, en ce qu’il n’a pas autant de caracteres, que nous avons de sons dans notre prononciation. Ainsi ce que nos peres firent autrefois quand ils voulurent établir l’art d’écrire, nous sommes en droit de le

faire aujourd’hui pour perfectionner ce même art ; & nous pouvons inventer un alphabet qui rectifie tout ce que l’ancien a de défectueux. Pourquoi ne pourroit-on pas faire dans l’art d’écrire ce que l’on a fait dans tous les autres arts ? Fait-on la guerre, je ne dis pas comme on la faisoit du tems d’Alexandre, mais comme on la faisoit du tems même d’Henri IV ? On a déja changé dans les petites écoles la dénomination des lettres ; on dit be, fe, me, ne : on a enfin introduit, quoiqu’avec bien de la peine, la distinction de l’u consonne v, qu’on appelle ve, & qu’on n’écrit plus comme on écrit l’u voyelle ; il en est de même du j, qui est bien différent de l’i ; ces distinctions sont très-modernes ; elles n’ont pas encore un siecle ; elles sont suivies généralement dans l’Imprimerie. Il n’y a plus que quelques vieux écrivains qui n’ont pas la force de se défaire de leur ancien usage : mais enfin la distinction dont nous parlons étoit raisonnable, elle a prévalu.

Il en seroit de même d’un alphabet bien fait, s’il étoit proposé par les personnes à qui il convient de le proposer, & que l’autorité qui préside aux petites écoles, ordonnât aux Maîtres d’apprendre à leurs disciples à le lire.

Je prie les personnes qui sont d’abord révoltées à de pareilles propositions de considérer :

I. Que nous avons actuellement plus de quatre alphabets différens, & que nos jeunes gens à qui on a bien montré à lire, lisent également les ouvrages écrits selon l’un ou selon l’autre de ces alphabets : les alphabets dont je veux parler sont :

1°. Le romain, où l’a se fait ainsi a.

2°. L’italique, a.

3°. L’alphabet de l’écriture que les Maîtres appellent françoise, ronde, ou financiere, où l’e se fait ainsi Encyclopedie-1-p296-alphabet-1.PNG, l’s ainsi Encyclopedie-1-p296-alphabet-2.PNG, l’r Encyclopedie-1-p296-alphabet-3.PNG, Encyclopedie-1-p296-alphabet-4.PNG, Encyclopedie-1-p296-alphabet-5.PNG ainsi.

4°. l’alphabet de la lettre bâtarde.

5°. l’alphabet de la coulée.

Je pourrois même ajoûter l’alphabet gothique.

II. La lecture de ce qui est écrit selon l’un de ces alphabets, n’empêche pas qu’on ne lise ce qui est écrit selon un autre alphabet. Ainsi quand nous aurions encore un nouvel alphabet, & qu’on apprendroit à le lire à nos enfans, ils n’en liroient pas moins les autres livres.

III. Le nouvel alphabet dont je parle, ne détruiroit rien ; il ne faudroit pas pour cela brûler tous les livres, comme disent certaines personnes ; le caractere romain fait-il brûler les livres écrits en italique ou autrement ? Ne lit-on plus les livres imprimés il y a 80 ou 100 ans, parce que l’orthographe d’aujourd’hui est différente de ces tems-là ? Et si l’on remonte plus haut, on trouvera des différences bien plus grandes encore, & qui ne nous empêchent pas de lire les livres qui ont été imprimés selon l’orthographe alors en usage.

Enfin cet alphabet rendroit l’orthographe plus facile, la prononciation plus aisée à apprendre, & feroit cesser les plaintes de ceux qui trouvent tant de contrariétés entre notre prononciation & notre orthographe, qui présente souvent aux yeux des signes différens de ceux qu’elle devroit présenter selon la premiere destination de ces signes.

On oppose que les réformateurs de l’orthographe n’ont jamais été suivis : je répons :

1°. Que cette réforme n’est pas l’ouvrage d’un particulier.

2°. Que le grand nombre de ces réformateurs fait voir que notre orthographe a besoin de réforme.

3°. Que notre orthographe s’est bien réformée depuis quelques années.

4°. Enfin, c’est un simple alphabet de plus que je voudrois qui fût fait & autorisé par qui il convient ; qu’on apprît à le lire, & qu’il y eût certains livres