Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pere prenant la main droite de sa fille, la met dans la main droite de l’époux, ancienne coutume ou cérémonie dans les alliances. 3°. Le pere écrit le contrat & le cachette. 4°. Un festin suit ces engagemens. 5°. La mere mene la fille dans une chambre destinée aux époux. 6°. La mere pleure, & la fille aussi ; la mere, parce qu’elle se sépare de sa fille ; & la fille, parce qu’elle va être séparée de sa mere. 7°. Le pere bénit les époux, c’est-à-dire, fait des vœux pour eux ; cela étoit fort simple ; mais l’essentiel s’y trouve. Ces festins nuptiaux duroient sept jours, coutume ancienne. Dans la suite des tems les mariages des Juifs furent chargés de cérémonies. Voyez Nôces des Hébreux. (D. J.)

Mariage des Turcs, (Hist. moderne.) Le mariage chez les Turcs, dit M. de Tournefort, qui en étoit fort bien instruit, n’est autre chose qu’un contrat civil que les parties peuvent rompre ; rien ne paroît plus commode : néanmoins, comme on s’ennuyeroit bien-tôt parmi eux du mariage, aussi bien qu’ailleurs ; & que les fréquentes séparations ne laisseroient pas d’être à charge à la famille, on y a pourvû sagement. Une femme peut demander d’être séparée d’avec son mari s’il est impuissant, adonné aux plaisirs contre nature, ou s’il ne lui paye pas le tribut, la nuit du jeudi au vendredi, laquelle est consacrée aux devoirs du mariage. Si le mari se conduit honnêtement, & qu’il lui fournisse du pain, du beurre, du riz, du bois, du café, du cotton, & de la soie pour filer des habits, elle ne peut se dégager d’avec lui. Un mari qui refuse de l’argent à sa femme pour aller au bain deux fois la semaine, est exposé à la séparation ; lorsque la femme irritée renverse sa pantoufle en présence du juge, cette action désigne qu’elle accuse son mari d’avoir voulu la contraindre à lui accorder des choses défendues. Le juge envoie chercher pour lors le mari, le fait bâtonner, s’il trouve que la femme dise la vérité, & casse le mariage. Un mari qui veut se séparer de sa femme, ne manque pas de prétextes à son tour ; cependant la chose n’est pas si aisée que l’on s’imagine.

Non-seulement il est obligé d’assurer le douaire à sa femme pour le reste de ses jours ; mais supposé que par un retour de tendresse il veuille la reprendre, il est condamné à la laisser coucher pendant 24 heures avec tel homme qu’il juge à propos : il choisit ordinairement celui de ses amis qu’il connoît le plus discret ; mais on assure qu’il arrive quelquefois que certaines femmes qui se trouvent bien de ce changement, ne veulent plus revenir à leur premier mari. Cela ne se pratique qu’à l’égard des femmes qu’on a épousées. Il est permis aux Turcs d’en entretenir de deux autres sortes ; savoir, celles que l’on prend à pension, & des esclaves ; on loue les premieres, & on achete les dernieres.

Quand on veut épouser une fille dans les formes, on s’adresse aux parens, & on signe les articles après être convenu de tout en présence du cadi & de deux témoins. Ce ne sont pas les pere & mere de la fille qui dotent la fille, c’est le mari : ainsi, quand on a réglé le douaire, le cadi délivre aux parties la copie de leur contrat de mariage : la fille de son côté n’apporte que son trousseau. En attendant le jour des nôces, l’époux fait bénir son mariage par le prêtre ; & pour s’attirer les graces du ciel, il distribue des aumônes, & donne la liberté à quelque esclave.

Le jour des nôces, la fille monte à cheval couverte d’un grand voile, & se promene par les rues sous un dais, accompagnée de plusieurs femmes, & de quelques esclaves, suivant la qualité du mari ; les joueurs & les joueuses d’instrumens sont de-la cérémonie : on fait porter ensuite les nippes, qui ne sont pas le moindre ornement de la marche. Com-

me c’est tout le profit qui en revient au futur époux,

on affecte de charger des chevaux & des chameaux de plusieurs coffres de belle apparence ; mais souvent vuides, ou dans lesquels les habits & les bijoux sont fort au large.

L’épousée est ainsi conduite en triomphe par le chemin le plus long chez l’époux, qui la reçoit à la porte : là ces deux personnes, qui ne se sont jamais vûes, & qui n’ont entendu parler l’une de l’autre que depuis peu, par l’entremise de quelques amis, se touchent la main, & se témoignent tout l’attachement qu’une véritable tendresse peut inspirer. On ne manque pas de faire la leçon aux moins éloquens ; car il n’est guere possible que le cœur y ait beaucoup de part.

La cérémonie étant finie, en présence des parens & des amis, on passe la journée en festin, en danses, & à voir les marionettes, les hommes se réjouissent d’un côté, & les femmes de l’autre. Enfin la nuit vient, & le silence succede à cette joie tumultueuse. Chez les gens aisés la mariée est conduite par un eunuque dans la chambre qui lui est destinée ; s’il n’y a point d’eunuques, c’est une parente qui lui donne la main, & qui la met entre les bras de son époux.

Dans quelques villes de Turquie il y a des femmes dont la profession est d’instruire l’épousée de ce qu’elle doit faire à l’approche de l’époux, qui est obligé de la deshabiller piece-à-piece, & de la placer dans le lit. On dit qu’elle récite pendant ce tems-là de longues prieres, & qu’elle a grand soin de faire plusieurs nœuds à sa ceinture, ensorte que le pauvre époux se morfond pendant des heures entieres avant que ce dénouement soit fini. Ce n’est d’ordinaire que sur le rapport d’autrui qu’un homme est informé, si celle qu’il doit épouser est belle ou laide.

Il y a plusieurs villes où, le lendemain des noces, les parens & les amis vont dans la maison des nouveaux mariés prendre le mouchoir ensanglanté, qu’ils montrent dans les rues, en se promenant avec des joueurs d’instrumens. La mere ou les parentes ne manquent pas de préparer ce mouchoir, à telle fin que de raison, pour prouver, en cas de besoin, que les mariés sont contens l’un de l’autre. Si les femmes vivent sagement, l’alcoran veut qu’on les traite bien, & condamne les maris qui en usent autrement, à réparer ce péché par des aumônes, ou par d’autres œuvres pies qu’ils sont obligés de faire avant que de se reconcilier avec leurs femmes.

Lorsque le mari meurt le premier, la femme prend son douaire, & rien de plus. Les enfans dont la mere vient de décéder, peuvent forcer le pere de leur donner ce douaire. En cas de répudiation, le douaire se perd, si les raisons du mari sont pertinentes ; si-non le mari est condamné à le continuer, & à nourrir les enfans.

Voilà ce qui regarde les femmes légitimes : pour celles que l’on prend à pension, on n’y fait pas tant de façon. Après le consentement du pere & de la mere, qui veulent bien livrer leur fille à un tel, on s’adresse au juge, qui met par écrit que ce tel veut prendre une telle pour lui servir de femme, qu’il se charge de son entretien, & de celui des enfans qu’ils auront ensemble, à condition qu’il la pourra renvoyer lorsqu’il le jugera à-propos, en lui payant la somme convenue, à proportion du nombre d’années qu’ils auront été ensemble. Pour colorer ce mauvais commerce, les Turcs en rejettent le scandale sur les marchands chrétiens, qui, ayant laissé leurs femmes dans leurs pays, en entretiennent à pension dans le Levant. A l’égard des esclaves, les Mahométans, suivant la loi, en peuvent faire tel usage qu’il leur plaît ; ils leur donnent la liberté