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ripile : mais on conçoit bien que Podalire & Machaon, fils d’Esculape, surpasserent dans cette science tous les Grecs qui assisterent au siege de Troie. Quoiqu’Homere ne les emploie jamais qu’à des opérations chirurgicales, on peut conjecturer que nés d’un pere tel qu’Esculape, & médecins de profession, ils n’ignoroient rien de ce qu’on savoit alors en Médecine.

Après la mort de Podalire, la Médecine & la Chirurgie cultivées sans interruption dans sa famille, firent de si grands progrès sous quelques uns de ses descendans, qu’Hippocrate le dix-septieme en ligne directe, fut en état de pousser ces deux sciences à un point de perfection surprenant.

Depuis la prise de Troie jusqu’au tems d’Hippocrate, l’antiquité nous offre peu de faits authentiques & relatifs à l’histoire de la Médecine : cependant, dans ce long intervalle de tems, les descendans d’Esculape continuerent sans doute leur attachement à l’étude de cette science.

Pythagore qui vivoit, à ce qu’on croit, dans la soixantieme olympiade, c’est-à-dire, 520 ans ou environ avant la naissance de Jesus-Christ, après avoir épuisé les connoissances des prêtres égyptiens, alla chercher la science jusqu’aux Indes : il revint ensuite à Samos qui passe pour sa patrie ; mais la trouvant sous la domination d’un tyran, il se retira à Crotone, où il fonda la plus célebre des écoles de l’antiquité. Celse assure que ce philosophe hâta les progrès de la Médecine ; mais, quoi qu’en dise Celse, il paroît qu’il s’occupa beaucoup plus des moyens de conserver la santé que de la rétablir, & de prévenir les maladies par le régime que de les guérir par les remedes. Il apprit sans doute la Médecine en Egypte, mais il eut la foiblesse de donner dans les superstitions qui jusqu’alors avoient infecté cette science ; car cet esprit domine dans quelques fragmens qui nous restent de lui.

Empédocle, son disciple, mérité plus d’éloges. On dit qu’il découvrit que la peste & la famine, deux fléaux qui ravageoient fréquemment la Sicile, y étoient l’effet d’un vent du midi, qui, soufflant continuellement par les ouvertures de certaines montagnes, infectoit l’air & séchoit la terre ; il conseilla de fermer ces gorges, & les calamités disparurent. On trouve dans un ouvrage de Plutarque, qu’Empédocle connoissoit la membrane qui tapisse la coquille du limaçon dans l’organe de l’ouie, & qu’il la regardoit comme le point de réunion des sons & l’organe immédiat de l’ouie. Nous n’avons aucune raison de croire que cette belle découverte anatomique ait été faite avant lui. Quant à sa physiologie, elle n’étoit peut-être guere mieux raisonnée que celle de son maître ; cependant, par une conjecture aussi juste que délicate, il assura que les graines dans la plante étoient analogues aux œufs dans l’animal, ce qui se trouve confirmé par les expériences des modernes.

Acron étoit compatriote & contemporain d’Empédocle : j’en parlerai au mot Médecine.

Alcméon, autre disciple de Pythagore, se livra tout entier à la Médecine, & cultiva si soigneusement l’anatomie, qu’on l’a soupçonné de connoître la communication de la bouche avec les oreilles, sur ce qu’il assura que le chevres respiroient en partie par cet organe.

Après avoir exposé les premiers progrès de la Médecine en Egypte & dans la Grece, nous jetterons un coup d’œil sur l’état de cette science chez quelques autres peuples de l’antiquité, avant que de passer au siecle d’Hippocrate, qui doit attirer tous nos regards.

Les anciens Hébreux, stupides, superstitieux, séparés des autres peuples, ignorans dans l’étude de la physique, incapables de recourir aux causes naturelles, attribuoient toutes leurs maladies aux mau-

vais esprits, exécuteurs de la vengeance céleste : delà

vient que le roi Asa est blâmé d’avoir mis sa confiance aux médecins, dans les douleurs de la goutte aux piés dont il étoit attaqué. La lepre même, si commune chez ce peuple, passoit pour être envoyée du ciel ; c’étoient les prêtres qui jugeoient de la nature du mal, & qui renfermoient le patient lorsqu’ils espéroient le pouvoir guérir.

Les maladies des Egyptiens, dont Dieu promet de garantir son peuple, sont, ou les plaies dont il frappa l’Egypte avant la sortie des Israélites de cette contrée, ou les maladies endémiques du lieu ; comme l’aveuglement, les ulceres aux jambes, la phthisie, l’éléphantiasis, & autres semblables qui y regnent encore.

On ne voit pas que les Hébreux ayent eu des médecins pour les maladies internes, mais seulement pour les plaies, les tumeurs, les fractures, les meurtrissures, auxquelles on appliquoit certains médicamens, comme la résine de Galaad, le baume de Judée, la graine & les huiles ; en un mot, l’ignorance où ils étoient de la Médecine, faisoit qu’ils s’adressoient aux devins, aux magiciens, aux enchanteurs, ou finalement aux prophetes. Lors même que notre Seigneur vint dans la Palestine, il paroît que les Juifs n’étoient pas plus éclairés qu’autrefois ; car dans l’Evangile, ils attribuent aux démons la cause de la plûpart des maladies. On y lit, par exemple, Luc, xiij. v. 16. que le démon a lié une femme qui étoit courbée depuis dix-huit ans.

Les gymnosophistes, dont parle Strabon, se mêloient beaucoup de médecine en orient, & se vantoient de procurer par leurs remedes la naissance à des enfans, d’en déterminer le sexe, & de les donner aux parens, mâles ou femelles à leur choix.

Chez les Gaulois, les druides, revêtus tout ensemble du sacerdoce, de la justice & de l’exercice de la Médecine, n’étoient ni moins trompeurs, ni plus éclairés que les gymnosophistes. Pline dit qu’ils regardoient le gui de chêne comme un remede souverain pour la stérilité, qu’ils l’employoient contre toutes sortes de poisons, & qu’ils en consacroient la récolte par quantité de céremonies supestitieuses.

Entre les peuples orientaux qui se disputent l’antiquité de la Médecine, les Chinois, les Japonois & les habitans de Malabar, paroissent les mieux fondés. Les Chinois assurent que leurs rois avoient inventé cette science long-tems avant le déluge ; mais quelle que soit la dignité de ceux qui l’exercerent les premiers dans ce pays là, nous ne devons pas avoir une opinion fort avantageuse de l’habileté de leurs successeurs : ils n’ont d’autre connoissance des maladies que par des observations minutieuses sur le pouls, & recourent pour la guérison à un ancien livre, qu’on pourroit appeller le code de la médecine chinoise, & qui prescrit les remedes de chaque mal. Ces peuples n’ont point de chimie ; ils sont dans une profonde ignorance de l’anatomie, & ne saignent presque jamais. Ils ont imaginé une espece de circulation des fluides dans le corps humain, d’après un autre mouvement périodique des cieux, qu’ils disent s’achever cinquante fois dans l’espace de 24 heures. C’est sur cette théorie ridicule que des européens ont écrit, que les Chinois avoient connu la circulation du sang long-tems avant nous. Leur pathologie est aussi pompeuse que peu sensée : c’est cependant par elle qu’ils déterminent les cas de l’opération de l’aiguille, & de l’usage du moxa ou coton brûlant. Ces deux pratiques leur sont communes avec les Japonois, & ne different chez ces deux peuples, qu’en quelques circonstances légeres dans la maniere d’opérer. En un mot, leur théorie & leur pratique, toute ancienne qu’on la suppose, n’en est pas pour cela plus philosophique ni moins imparfaite.