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de Nisus ; ou bien encore Mégarée fils d’Apollon. Selon Pausanias c’est Apollon lui-même qui prêta son ministere à la construction des murailles de cette ville. Elles ont été plus souvent renversées & détruites que celles de Troie qui se vantoit du même honneur. Je pense que Pausanias ne croyoit pas plus que nous qu’Apollon eût bâti Mégare, quoiqu’on l’engagea pour le lui persuader, à observer le rocher sur lequel ce Dieu déposoit sa lyre, pendant le tems de son travail, & qui rendoit, disoit-on, un son harmonieux, lorsqu’on le frappoit d’un caillou.

Il y a plus d’apparence que le nom de Mégare fut donné à cette ville, à cause de son premier temple bâti par Car, fils de Phoronée, à l’honneur de Cérès. Eustathe nous apprend que les temples de cette déesse étoient simplement appellés Μέγαρα. Ce temple attiroit une si grande quantité de pélerins, que l’on fut obligé d’établir des habitations pour leur servir de retraite & de reposoir, dans les tems qu’ils y apportoient leurs offrandes. C’est ce temple dédié à Cérès, sous la protection de laquelle étoient les troupeaux de moutons dont Diogene fait mention, quand il dit qu’il aimeroit mieux être bélier d’un troupeau d’un mégarien, que d’être son fils ; parce que ce peuple négligeoit de garantir ses propres enfans des injures de l’air, pendant qu’il avoit grand soin de couvrir les moutons, pour rendre leur laine plus fine & plus aisée à mettre en œuvre. Du-moins Plutarque fait ce reproche aux Mégariens de son siecle.

La ville de Mégare étoit encore célebre par son temple de Diane surnommée la protectrice, dont Pausanias vous fera l’histoire, à laquelle selon les apparences il n’ajoutoit pas grand foi.

On assure que le royaume de Mégaride fut gouverné par douze rois, depuis Clison, fils de Lélex, roi de Lélégie, jusqu’à Ajax, fils de Télamon, qui mourut au siege de Troie, de sa propre main, & de l’épée fatale dont Hector lui avoit fait présent, en consideration de sa valeur.

Après cet évenement, ce royaume devint un état libre & démocratique, jusqu’au tems que les Athéniens s’en rendirent les maîtres. Ensuite les Héraclides enleverent aux Athéniens cette conquête, & établirent le gouvernement aristocratique.

Alors les Mégariens presque toujours occupés à se défendre contre des voisins plus puissans qu’eux, devenoient troupes auxiliaires des peuples auxquels leur intérêt les attachoit, tantôt d’Athenes, tantôt de Lacédémone, & tantôt de Corinthe, ce qui ne manqua pas de les mettre aux prises alternativement avec les uns ou les autres.

Enfin les Athéniens outrés de l’ingratitude des Mégariens, dont ils avoient pris la défense contre Corinthe & Lacédémone, leur interdirent l’entrée des ports & du pays de l’Attique, & ce decret fulminant alluma la guerre du Péloponnèse.

Pausanias dit que le héraut d’Athènes étant allé sommer les Mégariens de s’abstenir de la culture d’une terre consacrée aux déesses Cérès & Proserpine, on massacra le héraut pour toute réponse. L’intérêt des Dieux, ajoute Plutarque, servit aux Athéniens de prétexte, mais la fameuse Aspasie de Milet, que Périclès aimoit éperduement, fut la véritable cause de la rupture des Athéniens avec Mégare. L’anecdote est bien singuliere.

Les Mégariens par représailles de ce qu’une troupe de jeunes Athéniens ivres avoient enlevé chez eux Séméthé courtisane célebre dans Athenes, enleverent deux courtisanes de la suite d’Aspasie. Une folle passion, lorsqu’elle possede les grandes ames, ne leur inspire que les plus grandes foiblesses. Périclès épousa la querelle d’Aspasie outragée, & avec le pouvoir qu’il avoit en main, il vint facilement à-bout

de persuader ce qui lui plut. On publia contre les Mégariens, un decret foudroyant. On défendit tout commerce avec eux, sous peine de la vie, & l’on dressa un nouveau formulaire de serment, par lequel tous les généraux s’engageoient à ravager deux fois chaque année les terres de Mégare. Ce decret jetta les premieres étincelles, qui peu-à-peu allumerent la guerre du Péloponnèse. Elle fut l’ouvrage de trois courtisanes. Les plus grands évenemens ont quelquefois une origine assez honteuse ; j’en pourrois citer des exemples modernes, mais il est encore de trop bonne heure pour oser le hasarder.

Enfin il paroît que la ville de Mégare n’eut de consistence décidée, qu’après qu’elle fut devenue colonie romaine par la conquête qu’en fit Quintus Cecilius Metellus, surnommé le Macédonien, lorsque Alcamène fut obligé de retirer les troupes auxiliaires qu’il avoit amenées à Mégare, & qu’il les transporta de cette ville à Corinthe. Passons aux idées qu’on nous a laissées des Mégariens.

Ils n’étoient pas estimés ; les auteurs grecs s’étendent beaucoup à peindre leur mauvaise foi ; leur goût de plaisanterie avoit passé en proverbe, & il s’appliquoit a ces hommes si communs parmi nous, qui sacrifient un bon ami à un bon mot : illusion de l’esprit qui cherche à briller aux dépens du cœur ! On comparoit aussi les belles promesses des Mégariens aux barillets de terre de leurs manufactures ; ils imposoient à la vûe par leur élégance, mais on ne s’en servoit point, & on les mettoit en réserve dans les cabinets des curieux, parce qu’ils étoient aussi minces que fragiles. Les larmes des Mégariens furent encore regardées comme exprimées par force, & non par de vrais sentimens de douleur, d’où vient qu’on en attribuoit la cause à l’ail & à l’oignon de leur pays.

Les femmes & les filles de Mégare n’étoient pas plus considérées par leur vertu, que les hommes par leur probité ; leur nom servoit dans la Grece à désigner les femmes de mauvaise vie.

L’imprécation usitée chez les peuples voisins, que personne ne devienne plus sage que les Mégariens, n’est vraissemblablement qu’une dérision, ou qu’une déclaration de l’opinion qu’on avoit du peu de mérite de ce peuple. Je crois cependant qu’il entroit dans tous ces jugemens beaucoup de partialité, parce que la politique des Mégariens les avoit obligés d’être très-inconstans dans leurs alliances avec les divers peuples de la Grece.

Cependant je ne tirerois pas la défense de leur piété & de leur religion, du nombre & de la magnificence des temples, & des monumens qu’ils avoient élevés à l’honneur des dieux & des héros, quoique Pausanias seul m’en fournit de grandes preuves. Il faudroit même copier plusieurs pages de ce célebre historien, pour avoir une idée des belles choses en ce genre, qui se voyoient encore de son tems à Mégare ; mais lui-même n’a pu s’empêcher de rabattre souvent la vanité des Mégariens, par la critique judicieuse de la plus grande partie des monumens qu’ils affectoient de faire voir. Il en démontre même quelquefois la fausseté, par des preuves tirées des anachronismes, ou du peu de vraissemblance, en comparant leurs traditions avec les monumens historiques.

Quoi qu’il en soit, les Mégariens ne négligerent jamais la culture des beaux arts & de la Philosophie. D’abord il est sûr que la Peinture & la Sculpture étoient chez eux en grande considération. Théocosme qui avoit acquis un nom célebre en Sculpture, étoit de cette ville. Il travailla conjointement avec Phidias, aux ornemens du temple de Jupiter Olympien.

La Poésie n’étoit pas moins honorée à Mégare.