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lerons courant inférieur, lequel dans un endroit du grand canal, roule ses eaux dans une direction contraire au courant qui lui est supérieur, comme le prouvent les filets des pêcheurs. Procope de Césarée, M. Gilles, M. le comte de Marsigli & M. de Tournefort, en ont fait l’observation.

Il n’est pas plus aisé d’expliquer pourquoi le canal vuide si peu d’eau, sans que la mer Noire qui en reçoit une si prodigieuse quantité, en devienne plus grande. Cette mer reçoit plus de rivieres que la Méditerranée ; les plus grandes de l’Europe y tombent par le moyen du Danube, dans lequel se dégorgent celles de Suabe, de Franconie, de Baviere, d’Autriche, d’Hongrie, de Moravie, de Carinthie, de Croatie, de Bosnie, de Servie, de Transylvanie, de Valaquie ; celles de la Russie-noire & de la Podolie, se rendent dans la même mer, par le moyen du Niester ; celles des parties méridionales & orientales de la Pologne, de la Moscovie septentrionale, & du pays des Cosaques, y entrent par le Nieper ou Borysthene ; le Tanaïs & le Coper ne passent-ils pas dans la mer Noire, par le Bosphore Cimmérien ? les rivieres de la Mingrelie, dont le Phase est la principale, se jettent aussi dans la mer Noire, de même que le Casalmac, le Sangaris & les autres fleuves de l’Asie-mineure, qui ont leur cours vers le nord : néanmoins le Bosphore de Thrace n’est comparable à aucune des rivieres dont on vient de parler. Il est certain d’ailleurs que la mer Noire ne grossit pas, quoiqu’en bonne physique, un réservoir augmente quand sa décharge ne répond pas à la quantité d’eau qu’il reçoit. Il faut que la mer Noire, indépendamment de son évaporation par le soleil, se vuide & par des canaux souterrains qui traversent peut-être l’Asie & l’Europe, & par la dépense continuelle de ses eaux, lesquelles s’evaporent en partie, en partie s’abreuvent dans la terre, & s’écoulent bien loin des côtes.

Quelque rapide que soit le cours des eaux dans le canal de la mer Noire, elles n’ont pas laissé de se geler dans les plus grands hivers. Zonare assure qu’il y en eut un si rude sous Constantin Copronime, que l’on passoit à pié sur la glace, de Constantinople à Scutari ; la glace soutenoit même les charrettes. Ce fut bien autre chose en 401, sous l’empire d’Arcadius : la mer Noire fut gelée pendant 20 jours ; & quand la glace fut rompue, on en voyoit passer devant Constantinople des monceaux effroyables.

D’un autre côté, quoi qu’en aient dit les anciens, & quoi que pensent les Turcs de cette mer, qu’ils ont nommée Noire, elle n’a rien de noir que le nom ; les vents n’y souflent pas avec plus de furie, & les orages n’y sont guere plus fréquens que sur les autres mers. Il faut cependant pardonner les exagérations aux poëtes anciens, & sut-tout aux chagrins d’Ovide ; mais le sable de la mer Noire est de même couleur que celui de la mer Blanche, & ses eaux sont aussi claires : en un mot, si les côtes de cette mer, qui passent pour fort dangereuses, paroissent sombres de loin, ce sont les bois qui les couvrent, ou le grand éloignement qui leur donnent le coup d’œil noirâtre.

Valerius Flaccus, qui a décrit poétiquement le voyage des Argonautes, assure que le ciel de la mer Noire est toujours brouillé, & qu’on n’y voit jamais de tems bien formé ; mais nos navigateurs qui ont couru cette mer, démentent hautement ce fameux poëte latin.

On voyage tout aussi sûrement sur la mer Noire, que dans les autres mers, si les vaisseaux sont conduits par de bons pilotes. Les Grecs & les Turcs ne sont guere plus habiles que Tiphys & Nauplius, qui conduisirent Jason, Hercule, Thésée & les au-

tres héros de la Grece, jusques sur les côtes de la

Colchide, la Mingrelie de nos jours.

On voit par la route qu’Apollonius de Rhodes leur fit tenir, que toute leur science aboutissoit, suivant le conseil de Phinée, ce roi de Thrace qui étoit aveugle, à éviter les écueils qui se trouvent sur la côte méridionale de la mer Noire, sans oser pourtant se mettre au large ; c’est-à-dire, qu’il falloit n’y passer que dans le tems calme. Les Grecs & les Turcs ont presque les mêmes maximes. Ils n’ont pas l’usage des cartes marines, & sachant à peine qu’une des pointes de la boussole se tourne vers le nord ; ils perdent la tête dès qu’ils perdent les terres de vûe. Enfin, ceux qui ont le plus d’expérience parmi eux, au lieu de compter par les rhumbs de vent, passent pour fort habiles lorsqu’ils savent que pour aller à Cassa, il faut prendre à main gauche en sortant du canal de la mer Noire ; que pour aller à Trébizonde, il faut se détourner à droite. A l’égard de la manœuvre, ils l’ignorent tout-à-fait, leur seule science consiste à ramer.

On a beau dire que les vagues de la mer Noire sont courtes, & par conséquent violentes, il est certain qu’elles sont plus étendues & moins coupées que celles de la mer Blanche, laquelle est partagée par une infinité de canaux qui sont entre les îles. Ce qu’il y a de plus fâcheux pour ceux qui navigent sur la mer Noire, c’est qu’elle a peu de bons ports, & que la plûpart de ses rades sont découvertes ; mais ces ports seroient inutiles à des pilotes qui, dans une tempête, n’auroient pas l’adresse de s’y retirer.

Pour assurer la navigation de cette mer, toute autre nation que les Turcs formeroit de bons pilotes, repareroit les ports, y bâtiroit des moles, y établiroit des magasins ; mais leur esprit n’est pas tourné de ce côté-là. Les Génois n’avoient pas manqué de prendre toutes ces précautions, lors de la décadence de l’empire des Grecs, & lorsqu’ils faisoient tout le commerce de la mer Noire, après en avoir occupé les meilleures places. Mahomet les en chassa, & depuis ce tems-là les Turcs ayant tout laissé ruiner par leur négligence, n’ont jamais voulu permettre aux Francs d’y naviger, quelques avantages qu’on leur ait proposé pour en obtenir la permission.

Les côtes de la mer Noire fournissent abondamment tout ce qu’il faut pour remplir les arsenaux, les magasins & les ports du grand-seigneur. Comme elles sont couvertes de forêts & de villages, les habitans sont obligés de couper des bois & de les scier. Quelques-uns travaillent aux clous, les autres aux voiles, aux cordes & agrès nécessaires pour les félouques, caïques & saïques de sa hautesse. C’est même de-là que les sultans ont tiré leurs plus puissantes flottes, dans le tems de leurs conquêtes ; & rien ne seroit plus aisé que de rétablir leur marine. Le pays est fertile, il abonde en vivres, comme blé, riz, viande, beurre, fromages, & les gens y vivent très-sobrement. (D. J.)

Mer du nord, (Géog.) on appelle ainsi la partie de mer qui lave les côtes orientales de l’Amérique, depuis la ligne équinoxiale au midi, jusqu’à la mer glaciale au septentrion. Le golfe du Mexique fait partie de cette mer. Elle comprend un grand nombre d’îles : Terre-Neuve, les Açores, les Lucayes, Cuba, S. Domingue, la Jamaïque & les Antilles, sont les principales.

On appelle aussi mer du nord, la partie de l’Océan qui est entre l’Islande & la Norwege. (D. J.)

Mer rouge, (Géog.) Oceanus ruber dans Horace ; golfe de l’Océan méridional, qui sépare l’Afrique de l’Asie, & s’engage dans les terres entre la côte d’Abeck, l’Egypte & l’Arabie, depuis le dé-