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ront les Juifs outre mesure. Ils font venir des extrémités du monde des hommes noirs qui auront deux têtes, sept yeux étincellans, & d’un regard si terrible, que les plus intrépides n’oseront paroître en leur présence ; mais ces tems durs & fâcheux seront abrégés, sans quoi personne au monde ne pourroit ni résister, ni survivre à leur extrème rigueur ; des pestes, des famines, des mortalités, le soleil changé en épaisses ténebres, la lune en sang, la chute des étoiles & des astres, des dominations insupportables, sont les miracles 2, 3, 4, 5 & 6 ; mais le 7e. est sur-tout remarquable : un marbre que Dieu a formé dès le commencement du monde, & qu’il a sculpté lui-même de ses propres mains, en figure d’une belle fille, sera l’objet de l’impudicité abominable des hommes impies & brutaux qui commettront toutes sortes d’abominations avec ce marbre ; & de ce commerce impur, disent les rabbins, naîtra l’ante christ Armillius, qui sera haut de dix aunes ; l’espace d’un de ses yeux à l’autre, sera d’une aune ; ses yeux extrèmement rouges & enflammés, seront enfoncés dans la tête ; ses cheveux seront roux comme de l’or, & ses piés verds ; il aura deux têtes ; les Romains le choisiront pour leur roi, il recevra les hommages des Chrétiens qui lui présenteront le livre de leur loi : il voudra que les Juifs en fassent de même ; mais le premier Messie Néhémie, fils dHuziel, avec une armée de 300 mille hommes d’Ephraïm, lui livrera bataille : Néhémie mourra, non par les mains des hommes : quant à Armillius, il s’avancera vers l’Egypte, la subjuguera, & voudra prendre & assujettir aussi Jérusalem, &c.

Les trois trompettes restaurantes de l’archange Michel, seront les trois derniers miracles. Au reste, ces idées fort anciennes ne sont pas toutes à mépriser, puisqu’on trouve quelques-unes de ces diverses notions dans nos saintes-Ecritures, & dans les descriptions que J. C. fait de l’avénement du regne du Messie.

Les auteurs sacrés, & le Seigneur Jesus lui-même, comparent souvent le regne du Messie & l’éternelle béatitude, qui en sera la suite pour les vrais élus, à des jours de noces, à des festins & des banquets, où l’on goûtera toutes les délices de la bonne chere, toute la joie & tous les plaisirs les plus exquis ; mais les Talmudistes ont étrangement abusé de ces paraboles.

Selon eux, le Messie donnera à son peuple rassemblé dans la terre de Canaan un repas dont le vin sera celui qu’Adam lui-même fit dans le paradis terrestre, & qui se conserve dans de vastes celliers creusés par les anges au centre de la terre.

On servira pour entrée, le fameux poisson appellé le grand léviathan, qui avala tout d’un coup un poisson moins grand que lui, & qui ne laisse pas d’avoir trois cent lieues de long ; toute la masse des eaux est portée sur le léviathan : Dieu au commencement en créa deux, l’un mâle & l’autre femelle ; mais de peur qu’ils ne renversent la terre, & qu’ils ne remplissent l’univers de leurs semblables, Dieu tua la femelle, & la sala pour le festin du Messie.

Les rabbins ajoutent qu’on tuera pour ce merveilleux repas le bœuf béhémoth, qui est si gros & si grand qu’il mange chaque jour le foin de mille montagnes très-vastes ; il ne quitte point le lieu qui lui a été assigné ; & l’herbe qu’il a mangée le jour recroît toutes les nuits, afin de fournir toujours à sa subsistance. La femelle de ce bœuf fut tuée au commencement du monde, afin qu’une espece si prodigieuse ne multipliât pas, ce qui n’auroit pu que nuire aux autres créatures. Mais ils assurent que l’Eternel ne la sala pas, parce que la vache salée n’est pas un met assez délicat pour un repas si magnifique. Les Juifs ajoutent encore si bien foi à toutes ces réveries

rabbiniques, que souvent ils jurent sur leur part du bœuf behémoth, comme quelques chrétiens impies jurent sur leur part du paradis.

Enfin l’oiseau bar-juchne doit aussi servir pour le festin du Messie ; cet oiseau est si immense, que s’il étend les ailes il offusque l’air & le soleil. Un jour, disent-ils, un œuf pourri tombant de son nid, renversa & brisa trois cens cedres les plus hauts du Liban ; & l’œuf s’étant enfin cassé par le poids de sa chûte, renversa soixante gros villages, les inonda & les emporta comme par un déluge. On est humilié en détaillant des chimeres aussi absurdes que celles-là. Après des idées aussi grossieres & si mal digérées sur la venue du Messie & sur son origine, faut-il s’étonner si les Juifs, tant anciens que modernes, le général même des premiers chrétiens malheureusement imbus de toutes ces chimériques réveries de leurs docteurs, n’ont pu s’élever à l’idée de la nature divine de l’oint du Seigneur, & n’ont pas attribué la qualité de Dieu au Messie, après la venue duquel ils soupiroient ? Le système des Chrétiens sur un article aussi important, les révolte & les scandalise ; voyez comme ils s’expriment là-dessus dans un ouvrage intitulé : Judei lusitani questiones ad Christianos, quest. I. ij. 3. 23, &c. Reconnoître, disent-ils, un homme dieu, c’est s’abuser soi-même, c’est se forger un monstre, un centaure, le bisarre composé de deux natures qui ne sauroient s’allier. Ils ajoutent que les prophetes n’enseignent point que le Messie soit homme-dieu ; qu’ils distinguent expressément entre Dieu & David ; qu’ils déclarent le premier maître, & le second serviteur, &c. Mais ce ne sont-là que des mots vuides de sens qui ne prouvent rien, qui ne contrarient point la foi chrétienne, & qui ne sauroient jamais l’emporter sur les oracles clairs & exprès qui fondent notre croyance là-dessus, en donnant au Messie le nom de Dieu. Vide Isai. IX. vj. 45. 22. 35. 4. Jer. XXIII. vj. Eccl. I. 4.

Mais lorsque le Sauveur parut, ces prophéties, quelque claires & expresses qu’elles fussent par elles-mêmes, malheureusement obscurcies par les préjugés, sucés avec le lait, furent ou mal entendues ou mal expliquées ; en sorte que Jesus-Christ lui même, ou par ménagement, ou pour ne pas révolter les esprits, paroît extrèmement reservé sur l’article de sa divinité ; il vouloit, dit saint Chrysostome, accoutumer insensiblement ses auditeurs à croire un mystere si fort élevé au-dessus de la raison. S’il prend l’autorité d’un Dieu en pardonnant les péchés, cette action révolte & souleve tous ceux qui en sont les témoins ; ses miracles les plus évidens ne peuvent convaincre de sa divinité ceux même en faveur desquels il les opere. Lorsque devant le tribunal du souverain sacrificateur il avoue avec un modeste détour qu’il est fils de Dieu, le grand-prêtre déchire sa robe & crie au blasphème. Avant l’envoi du saint-Esprit, ses apôtres ne soupçonnent pas même la divinité de leur cher maître : il les interroge sur ce que le peuple pense de lui ; ils répondent que les uns le prennent pour Elie, les autres pour Jérémie ou pour quelqu’autre prophete. Saint Pierre, le zélé saint Pierre lui-même, a besoin d’une révélation particuliere pour connoître que Jesus est le Christ, le fils du Dieu vivant. Ainsi le moindre sujet du royaume des cieux, c’est-à-dire le plus petit chrétien, en sait plus à cet égard que les patriarches & les plus grand prophetes.

Les Juifs révoltés contre la divinité de Jesus-Christ, ont eu recours à toutes sortes de voies pour invalider & détruire ce grand mystere, dogme fondamental de la foi chrétienne ; ils détournent le sens de leurs propres oracles, ou ne les appliquent pas au Messie. Ils prétendent que le nom de Dieu n’est pas particulier à la divinité, & qu’il se donne même