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facies gradum (pourquoi tu ne vas pas publiquement, a cette fin que le souvenir des vaillances tiennes vienne à toi dans l’esprit autant de fois combien de fois tu feras un pas) ; c’est la totalité de la proposition incidente déterminative de l’antécédent sous-entendu causam, & doit conséquemment suivre l’antécédent causam dans l’ordre analytique.

Il y a donc de sous-entendu causam (la cause), qui est à l’accusatif singulier de causa, æ, nom feminin de la premiere déclinaison ; causam est à l’accusatif, parce qu’il est le complément objectif grammatical du verbe interrogatif sous-entendu dic.

Causam quin prodis, in hunc finem ut recordatio virtutum tuarum veniat tibi in mentem toties quotiescumque facies gradum (la cause pourquoi tu ne vas pas publiquement, à cette fin que le souvenir des vaillances tiennes vienne à toi dans l’esprit autant de fois combien de fois tu feras un pas) ; c’est le complément objectif logique du verbe interrogatif sous-entendu dic ; & doit par conséquent être après ce verbe dans la construction analytique.

Il y a donc de sous-entendu dic (dis) qui est à la seconde personne du singulier du présent postérieur de l’impératif actif du verbe dicere (dire) co, cis, xi, ctum, verbe relatif, actif, de la troisieme conjugaison ; dic est à la seconde personne du singulier pour s’accorder en personne & en nombre avec son sujet grammatical Spuri : dic est à l’impératif, parce que la mere de Spurius lui demande de dire la cause pourquoi il ne va pas en public, qu’elle l’interroge ; & dic est le seul mot qui puisse ici marquer l’interrogation désignée par le point interrogatif, & par la position de quin adverbe conjonctif à la tête de la proposition écrite. Dic, au lieu de dice, par une apocope qui a tellement prévalu dans le latin, que dice n’y est plus usité, ni dans le verbe simple, ni dans ses composés.

Spuri, que l’on a déja dit le sujet grammatical de la seconde personne, est donc le sujet grammatical du verbe sous-entendu dic ; & par conséquent mi Spuri (mon Spurius) en est le sujet logique : donc mi Spuri doit précéder dic dans l’ordre analytique.

Voici donc enfin la construction analytique & plaine de toute la proposition : mi Spuri, dic causam quin prodis, in hunc finem ut recordatio virtutum tuarum veniat tibi in mentem toties quotiescumque facies gradum.

En voici la traduction littérale qu’il faut faire faire à son éleve mot à-mot, en cette maniere : mi Spuri (mon Spurius), dic (dis) causam (la cause) quin prodis (pourquoi tu ne vas pas publiquement), in hunc finem (à cette fin) ut (que) recordatio (le souvenir) virtutum tuarum (des vaillances tiennes) veniat (vienne) tibi (à toi) in mentem (dans l’esprit) toties (autant de fois quottescumque (combien de fois) facies (tu feras) gradum (un pas) ?

En reprenant tout de suite cette traduction littérale, l’éleve dira : mon Spurius, dis la cause pourquoi tu ne vas pas publiquement, à cette fin que le souvenir des vaillances tiennes vienne à toi dans l’esprit autant de fois combien de fois tu feras un pas ?

Pour faire passer ensuite le commençant, de cette traduction littérale à une traduction raisonnable & conforme au génie de notre langue, il faut l’y préparer par quelques remarques. Par exemple, 1°. que nous imitons les Latins dans nos tours interrogatifs, en supprimant, comme eux, le verbe interrogatif & l’antécédent du mot conjonctif par lequel nous débutons, voyez Interrogatif ; qu’ici par conséquent nous pouvons remplacer leur quin par que ne, & que nous le devons, tant pour suivre le génie de notre langue, que pour nous rapprocher davantage de l’original, dont notre version doit être une copie fidelle : 2°. qu’aller publiquement ne se dit

point en françois, mais que nous devons dire paroître, se montrer en public : 3°. que comme il seroit indécent d’appeller nos enfans mon Jacques, mon Pierre, mon Joseph, il seroit indécent de traduire mon Spurius ; que nous devons dire comme nous dirions à nos enfans, mon fils, mon enfant, mon cher fils, mon cher enfant, ou du moins mon cher Spurius : 4°. qu’au lieu de à cette fin que, nous disions autrefois à icelle fin que, à celle fin que ; mais qu’aujourd’hui nous disons afin que ; 5°. que nous ne sommes plus dans l’usage d’employer les adjectifs mien, tien, sien avec le nom auquel ils ont rapport, comme nous faisions autrefois, & comme font encore aujourd’hui les Italiens, qui disent il mio libro, la mia casa le mien livre, la mienne maison) ; mais que nous employons sans article les adjectifs possessifs prépositifs mon, ton, son, notre, votre, leur ; qu’ainsi au lieu de dire, des vaillances tiennes, nous devons dire de tes vaillances : 6°. que la métonymie de vaillances pour actions courageuses, n’est d’usage que dans le langage populaire, & que si nous voulons conserver la métonymie de l’original, nous devons mettre le mot au singulier, & dire de ta vaillance, de ton courage, de ta bravoure, comme a fait M. l’abbé d’Olivet, Pens. de Cic. chap. xij. pag. 359. 7°. que quand le souvenir de quelque chose nous vient dans l’esprit par une cause qui précede notre attention, & qui est indépendante de notre choix, il nous en souvient ; & que c’est précisément le tour que nous devons préférer comme plus court, & par-là plus énergique ; ce qui remplacera la valeur & la briéveté de l’ellipse latine.

De pareilles réflexions ameneront l’enfant à dire comme de lui même : que ne parois-tu, mon cher enfant, afin qu’à chaque pas que tu feras, il te souvienne de ta bravoure ?

Cette méthode d’explication suppose, comme on voit, que le jeune éleve a déja les notions dont on y fait usage ; qu’il connoît les différentes parties de l’oraison, & celles de la proposition ; qu’il a des principes sur les métaplasmes, sur les tropes, sur les figures de construction, & à plus forte raison sur les regles générales & communes de la syntaxe. Cette provision va paroître immense à ceux qui sont paisiblement accoutumés à voir les enfans faire du latin sans l’avoir appris ; à ceux qui voulant recueillir sans avoir semé, n’approuvent que les procédés qui ont des apparences éclatantes, même aux dépens de la solidité des progrès ; & à ceux enfin qui avec les intentions les plus droites & les talens les plus décidés, sont encore arrêtés par un préjugé qui n’est que trop répandu, savoir que les enfans ne sont point en état de raisonner, qu’ils n’ont que de la mémoire, & qu’on ne doit faire fonds que sur cette faculté à leur égard.

Je réponds aux premiers, 1°. que la multitude prodigieuse des regles & d’exceptions de toute espece qu’il faut mettre dans la tête de ceux que l’on introduit au lat n par la composition des thèmes, surpasse de beaucoup la provision de principes raisonnables qu’exige la méthode analytique. 2°. Que leurs rudimens sont beaucoup plus difficiles à apprendre & à retenir, que les livres élementaires nécessaires à cette méthode ; parce qu’il n’y a d’une part que désordre, que fausseté, qu’inconséquence, que prolixité ; & que de l’autre tout est en ordre, tout est vrai, tout est lié, tout est nécessaire & précis. 3°. Que l’application des regles quelconques, bonnes ou mauvaises, à la composition des thèmes, est épineuse, fatigante, captieuse, démentie par mille & mille exceptions, & deshonorée non seulement par les plaintes des savans les plus respectables & des maîtres les plus habiles, mais même par ses propres succès, qui n’aboutissent enfin qu’à