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ter de l’appercevoir mentalement, sans déranger l’ordre usuel de la phrase latine pour en connoître le sens. Ceci demande sur l’usage de cette méthode quelques observations qui en feront connoître la pratique d’une maniere plus nette & plus explicite, & qui répandront plus de lumiere sur ce qui vient d’être dit à l’avantage de la méthode même.

C’est le maître qui dans les commencemens fait aux éleves l’analyse de la phrase de la maniere dont j’ai présenté ci-devant un modele sur un petit passage de Cicéron : il la fait répéter ensuite à ses auditeurs, dont il doit relever les fautes, en leur en expliquant bien clairement l’inconvénient & la nécessité de la regle qui doit les redresser. Cette premiere besogne va lentement les premiers jours, & la chose n’est pas surprenante ; mais la patience du maître n’est pas exposée à une longue épreuve : il verra bientôt croître la facilité à retenir & à repéter avec intelligence : il sentira ensuite qu’il peut augmenter un peu la tâche ; mais il le fera avec discrétion, pour ne pas rebuter ses disciples : il se contentera de peu tant qu’il sera nécessaire, se souvenant toujours que ce peu est beaucoup, puisqu’il est solide & qu’il peut devenir fécond ; & il ne renoncera à parler le premier qu’au bout de plusieurs semaines, quand il verra que les répétitions d’après lui ne coutent plus rien ou presque rien, ou quand il retrouvera quelques phrases de la simplicité des premieres par où il aura débuté, & sur lesquelles il pourra essayer les éleves en leur en faisant faire l’analyse les premiers, après leur en avoir préparé les moyens par la construction.

C’est ici comme le second degré par où il doit les conduire quand ils ont acquis une certaine force. Il doit leur faire la construction analytique, l’explication litérale, & la version exacte du texte ; puis quand ils ont répété le tout, exiger qu’ils rendent d’eux-mêmes les raisons analytiques de chaque mot : ils hésiteront quelquefois, mais bientôt ils trouveront peu de difficulté, à-moins qu’ils ne rencontrent quelques cas extraordinaires ; & je réponds hardiment que le nombre de ceux que l’analyse ne peut expliquer est très petit.

Les éleves fortifiés par ce second degré, pourront passer au troisieme, qui consiste à prépare eux-mêmes le tout, pour faire seuls ce que le maitre faisoit au commencement, l’analyse, la construction, l’explication littérale, & la version exacte. Mais ici, ils auroient besoin, pour marcher plus surement, d’un dictionnaire latin-françois qui leur présentât uniquement le sens propre de chaque mot, ou qui ne leur assignât aucun sens figuré sans en avertir & sans en expliquer l’origine & le fondement. Cet ouvrage n’existe pas, & il seroit nécessaire à l’exécution entiere des vûes que l’on propose ici ; & l’entreprise en est d’autant plus digne de l’attention des bons citoyens, qu’il ne peut qu’être très-utile à toutes les méthodes ; il seroit bon qu’on y assignât les radicaux latins des derivés & des composés, le sens propre en est plus sensible.

Exercés quelque tems de cette maniere, les jeunes gens arriveront au point de ne plus faire que la construction pour expliquer littéralement & traduire ensuite avec correction, sans analyser préalablement les phrases. Alors ils seront au niveau de la marche ordinaire ; mais quelle différence entr’eux & les enfans qui suivent la méthode vulgaire ! Sans entrer dans aucun détail analytique, ils verront pourtant la raison de tout par l’habitude qu’ils auront contractée de ne rien entendre que par raison : certains tours, qui sont essentiellement pour les autres des difficultés très-grandes & quelquefois insolubles, ou ne les arrêtent point du tout, ou ne les arrêtent que l’instant qu’il leur faudra pour les analyser : tout ce qu’ils expliqueront, ils le sauront bien, & c’est ici le grand

avantage qu’ils auront sur les autres, pour qui il reste toujours mille obscurités dans les textes qu’ils ont expliqués le plus soigneusement, & des obscurités d’autant plus invincibles & plus nuisibles, qu’on n’en a pas même le soupçon : ajoutez-y que désormais ils iront plus vîte que l’on ne peut aller par la route ordinaire, & que par conséquent ils regagneront en célérité ce qu’ils paroissent perdre dans les commencemens ; ce qui assure à la méthode analytique la supériorité la plus décidée, puisqu’elle donne aux progrès des éleves une solidité qui ne peut se trouver dans la méthode vulgaire, sans rien perdre en effet des avantages que l’on peut supposer à celle-ci.

Je ne voudrois pourtant pas que, pour le prétendu avantage de faire voir bien des choses aux jeunes gens, on abandonnât tout-à-coup l’analyse pour ne plus y revenir : il convient, je crois, de les y exercer encore pendant quelque tems de fois à autre, en réduisant, par exemple, cet exercice à une fois par semaine dans les commencemens, puis insensiblement à une seule fois par quinzaine, par mois, &c. jusqu’à ce que l’on sente que l’on peut essayer de faire traduire correctement du premier coup sur la simple lecture du texte : c’est le dernier point où l’on amenera ses disciples, & où il ne s’agira plus que de les arrêter un peu pour leur procurer la facilité requise, & les disposer à saisir ensuite les observations qui peuvent être d’un autre ressort que de celui de la Grammaire, & dont je dois par cette raison m’abstenir de parler ici.

Je ne dois pas davantage examiner quels sont les auteurs que l’on doit lire par préférence, ni dans quel ordre il convient de les voir : c’est un point déja examine & décidé par plusieurs bons littérateurs, aprês lesquels mon avis seroit superflu ; & d’ailleurs ceci n’appartient pas à la méthode méchanique d’étudier ou d’enseigner les langues, qui est le seul objet de cet article. Il n’en est pas de même des vûes proposées par M. du Marsais & par M. Pluche, lesquelles ont directement trait à ce méchanisme.

La méthode de M. du Marsais a deux parties, qu’il appelle la routine & la raison. Par la routine il apprend à son disciple la signification des mots tout simplement ; il leur met sous les yeux la construction analytique toute faite avec les supplémens des ellipses ; il met au-dessous la traduction littérale de chaque mot, qu’il appelle traduction interlinéaire : tout cela est sur la page à droite ; & sur celle qui est à gauche, on voit en haut le texte tel qu’il est sorti des mains de l’auteur, & au dessous la traduction exacte de ce texte. Il ne rend dans tout ceci aucune raison grammaticale à son disciple, il ne l’a pas même préparé à s’en douter ; s’il rencontre consilio, il apprend qu’il signifie conseil, mais il ne s’attend ni ne peut s’attendre qu’il trouvera quelque jour la même idée rendue par consilium, consilii, consilia, consiliorum, consiliis : c’est la même chose à l’égard des autres mots déclinables ; l’auteur veut que l’on mene ainsi son éleve, jusqu’à ce que frappé lui-même de la diversité des terminaisons des mêmes mots qu’il aura rencontrés, & des diverses significations qui en auront été les suites, il force le maître par ses questions à lui révéler le mystere des déclinaisons, des conjugaisons, de la syntaxe, qu’il ne lui a encore fait connoître que par instinct. C’est alors qu’a lieu la seconde partie de la méthode qu’il nomme la raison, & qui rentre à-peu-près dans l’esprit de celle que j’ai exposée : ainsi nous ne différons M. du Marsais & moi, que par la routine, dont il regarde l’exercice comme indispensablement préliminaire aux procédés raisonnés par lesquels je débute.

Cette différence vient premierement de ce que M. du Marsais pense que dans les enfans, l’organe,