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l’autre ceux qui ont des doigts & des ongles ; chacun de ces ordres est soudivisé en quatre familles ; la premiere de l’ordre des animaux qui ont de la corne à l’extrémité des piés est composée de ceux qui n’ont de la corne que d’une seule piece à chaque pié, & que l’on appelle solidipedes ; les animaux qui ont la corne des piés divisée en deux pieces, & que l’on appelle animaux à piés fourchus, sont dans la seconde famille ; le rhinocéros est dans la troisieme, parce que son pié est divisé en trois pieces ; & l’éléphant dans la quatrieme, parce qu’il a le pié divisé en quatre pieces : la plus nombreuse de ces familles est celle des piés fourchus, elle est soudivisée en cinq genres.

On voit par ces exemples de quelle utilité les distributions méthodiques peuvent être pour les gens qui commencent à étudier l’Histoire naturelle, & même pour ceux qui ont déjà acquis des connoissances dans cette science. Pour les premiers, une méthode est un fil qui les guide dans quelques routes d’un labyrinthe fort compliqué ; & pour les autres, c’est un tableau représentant quelques faits qui peuvent leur en rappeller d’autres s’ils les savent d’ailleurs.

Les objets de l’Histoire naturelle sont plus nombreux que les objets d’aucune autre science ; la durée complette de la vie d’un homme ne suffiroit pas pour observer en détail les différentes productions de la nature ; d’ailleurs pour les voir toutes il faudroit parcourir toute la terre. Mais supposant qu’un seul homme soit parvenu à voir, à observer, & à connoitre toutes les diverses productions de la nature ; comment retiendra-t-il dans sa mémoire tant de faits sans tomber dans l’incertitude, qui fait attribuer à une chose ce qui appartient à une autre ? Il faudra nécessairement qu’il établisse un ordre de rapports & d’analogies, qui simplifie & qui abrege le détail en les généralisant. Cet ordre est la vraie méthode par laquelle on peut distinguer les productions de la nature les unes des autres, sans confusion & sans erreur : mais elle suppose une connoissance de chaque objet en entier, une connoissance complette de ses qualités & de ses propriétés. Elle suppose par conséquent la science de l’Histoire naturelle parvenue à son point de perfection. Quoiqu’elle en soit encore bien éloignée, on veut néanmoins se faire des méthodes avec le peu de connoissances que l’on a, & on croit pouvoir, par le moyen de ces méthodes, suppléer en quelque façon les connoissances qui manquent.

Pour juger des ressemblances & des différences de-conformation qui sont entre les animaux quadrupedes, il faudroit avoir observé les parties renfermées dans l’intérieur de leur corps comme celles qui sont à l’extérieur, & après avoir combiné tous les faits particuliers, on en retireroit peut-être des résultats généraux dont on pourroit faire des caracteres de classes, d’ordres, de genres, &c. pour une distribution méthodique des animaux ; mais au défaut d’une connoissance exacte de toutes les parties internes & externes, les Méthodistes se sont contenté d’observer seulement quelques-unes des parties externes. M. Linnœus a établi la partie de sa méthode (Systêma naturæ), qui a rapport aux animaux quadrupedes, par des observations faites sur les dents, les mamelles, les doigts ; de sorte qu’en combinant la position & la forme de ces différentes parties dans chaque espece d’animaux quadrupedes, il trouve des caracteres pour les distribuer en six ordres, & chaque ordre en plusieurs genres. Avant de proposer une telle division il auroit fallu prouver que les animaux qui se ressemblent les uns aux autres par les dents, les mamelles & les doigts, se ressemblent aussi à tout autre égard, & que par consé-

quent la ressemblance qui se trouve dans ces parties

entre plusieurs especes d’animaux est un indice certain d’analogie entre ces mêmes animaux : mais il est aisé de prouver au contraire que cet indice est très-fautif. Pour s’en convaincre il suffit de jetter les yeux sur la division du premier ordre de la méthode de M. Linnœus en trois genres, « qui ont pour caracteres communs quatre dents incisives dans chaque mâchoire, & les mamelles sur la poitrine. Je suis toujours surpris de trouver l’homme dans le premier genre, immédiatement au-dessus de la dénomination générale de quadrupedes, qui fait le titre de la classe : l’étrange place pour l’homme ! quelle injuste distribution, quelle fausse méthode met l’homme au rang des bêtes à quatre piés ! Voici le raisonnement sur lequel elle est fondée. L’homme a du poil sur le corps & quatre piés, la femme met au monde des enfans vivans & non pas des œufs, & porte du lait dans ses mamelles ; donc les hommes & les femmes ont quatre dents incisives dans chaque mâchoire & les mamelles sur la poitrine ; donc les hommes & les femmes doivent être mis dans le même ordre, c’est à-dire au même rang, avec les singes & les guenons, & avec les mâles & les femelles des animaux appellés paresseux. Voilà des rapports que l’auteur a singulierement combinés pour acquérir le droit de se confondre avec tout le genre humain dans la classe des quadrupedes, & de s’associer les singes & les paresseux pour faire plusieurs genres du même ordre. C’est ici que l’on voit bien clairement que le méthodiste oublie les caracteres essentiels, pour suivre aveuglément les conditions arbitraires de sa méthode ; car quoi qu’il en soit des dents, des poils, des mamelles, du lait & du fœtus, il est certain que l’homme, par sa nature, ne doit pas être confondu avec aucune espece d’animal, & que par conséquent il ne faut pas le renfermer dans une classe de quadrupedes, ni le comprendre dans le même ordre avec les singes & les paresseux, qui composent le second & le troisieme genre du premier ordre de la classe des quadrupedes dans la méthode dont il s’agit ». Hist. nat. gen. & part. exp. des méth. tom. IV.

On voit par cet exemple, à quel point l’abus des distributions méthodiques peut être porté ; mais en parcourant plusieurs de ces méthodes, on reconnoît facilement que leurs principes sont arbitraires, puisqu’elles ne sont pas d’accord les unes avec les autres. L’élephant que M. Klin range dans un même ordre avec les solipedes & les animaux à pié fourchu, qui tous ont un ou plusieurs sabots à chaque pié, se trouvent dans la méthode de Rai, avec les animaux qui ont des doigts & des ongles. Et dans la méthode de M. Linnæus, l’élephant a plus de rapport avec le lamantin, le paresseux, le tamandua & le lézard écailleux, qu’avec tout autre animal. L’auteur donne pour preuve de cette analogie le défaut de dents incisives à l’une ou l’autre des mâchoires, & la démarche difficile qui sont des caracteres communs à tous ces animaux. Mais pourquoi l’auteur a-t-il donné la préference à de tels caracteres, tandis qu’il s’en présentoit tant d’autres, plus apparens & plus importans entre des animaux si differens les uns des autres ? C’est parce qu’il a fait dépendre sa méthode, principalement du nombre & de la position des dents, & qu’en consequence de ce principe, il suffit qu’un animal ait quelque rapport à un autre par les dents, pour qu’il soit placé dans le même ordre.

Ces inconvéniens viennent de ce que les méthodes ne sont établies que sur des caracteres qui n’ont pour objet que quelques unes des qualités ou des propriétés de chaque animal. Il vient encore