Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noit à celui qui avoit fait lever un siége. Cette couronne étoit regardée comme la plus honorable : on la composoit d’herbes que l’on arrachoit dans le lieu même où étoient campés les assiégeans. Après cette couronne, venoit la couronne civique qui étoit de chêne : on en peut voir la raison dans Plutarque, vie de Coriolan. Cette couronne étoit réservée pour un citoyen qui avoit sauvé la vie à un autre citoyen, en tuant son ennemi. Le général ordonnoit que cette couronne fût donnée d’abord à celui à qui on avoit sauvé la vie, afin qu’il la présentât lui-même à son libérateur, qu’il devoit toûjours regarder comme son pere. La couronne murale d’or, qui étoit faite en forme de mur, & où il y avoit des tours & des mantelets représentés, se donnoit à celui qui avoit monté le premier à la muraille d’une ville assiégée. Il y en avoit deux autres qui lui ressembloient assez ; l’une s’appelloit corona castrensis, couronne de camp ; & l’autre corona vallaris, couronne de retranchement. La premiere s’accordoit à celui qui dans un combat, avoit pénétré le premier dans le camp de l’ennemi ; & la seconde, à celui qui étoit entré le premier dans le retranchement. La couronne d’or navale, étoit pour celui qui avoit sauté le premier les armes à la main dans le vaisseau ennemi. Il y en avoit une autre qu’on appelloit classica ou rostrata, dont on faisoit présent au général qui avoit remporté quelque grande victoire sur mer. On en donna une de cette espece à Varron, & dans la suite à M. Agrippa : cette couronne ne le cédoit qu’à la couronne civique.

Il y avoit encore d’autres couronnes d’or, qui n’avoient aucun nom particulier ; on les accordoit aux soldats à cause de leur valeur en général. Au reste, on leur donnoit plutôt des louanges, ou des choses dont on ne considéroit point le prix, que de l’argent, pour faire voir que la récompense de la valeur devoit être l’honneur, & non les richesses. Quand ils alloient aux spectacles, ils avoient soin de porter ces glorieuses marques de leur vaillance : les chevaliers s’en paroient aussi quand ils passoient en revûe.

Ceux qui avoient remporté quelques dépouilles, les faisoient attacher dans le lieu le plus fréquenté de leur maison, & il n’étoit pas permis de les arracher, même quand on vendoit la maison, ni de les suspendre une seconde fois, si elles tomboient. Les dépouilles opimes étoient celles qu’un officier, quoique subalterne, comme nous le voyons par l’exemple de Cossus, remportoit sur un officier des ennemis. On les suspendoit dans le temple de Jupiter férétrien : ces dépouilles ne furent remportées que trois fois pendant tout le tems de la république romaine. On les appelloit opimes, selon quelques-uns, d’Ops, femme de Saturne, qui étoit censée la distributrice des richesses ; selon d’autres, ce mot vient d’opes, richesses ; parce que ces dépouilles étoient précieuses : c’est pour cela qu’Horace dit, un triomphe opime, Od. xliv.

Un des honneurs qu’on accordoit au commandant de l’armée, étoit le nom d’imperator ; il recevoit ce titre des soldats, après qu’il avoit fait quelque belle action, & le sénat le confirmoit. Le commandant gardoit ce nom jusqu’à son triomphe : le dernier des particuliers qui ait eu le nom d’imperator, est Junius Blæsus, oncle de Séjan : un autre honneur étoit la supplication ordonnée pour rendre graces aux dieux de la victoire que le général avoit remportée ; ces prieres étoient publiques & ordonnées par le sénat. Cicéron est le seul, à qui ces prieres ayent été accordées dans une autre occasion que celle de la guerre. Ce fut après la découverte de la conjuration de Catilina ; mais le comble des honneurs auxquels un général pouvoit aspirer, étoit le triomphe. Voyez Triomphe.

S’il y avoit des récompenses à la guerre pour ani-

mer les soldats à s’acquitter de leurs devoirs, il y

avoit aussi des punitions pour ceux qui y manquoient. Ces punitions étoient de la compétence des tribuns, des préfets avec leur conseil, & du général même, duquel on ne pouvoit appeller avant la loi Porcia, portée l’an 556. On punissoit les soldats, ou par des peines afflictives, ou par l’ignominie. Les peines afflictives consistoient dans une amende, dans la saisie de leur paye, dans la bastonade, sous laquelle il arrivoit quelquefois d’expirer ; ce châtiment s’appelloit fustuarium. Les soldats mettoient à mort à coups de bâton ou de pierre, un de leurs camarades qui avoit commis quelque grand crime, comme le vol, le parjure, pour quelque récompense obtenue sur un faux exposé, pour la désertion, pour la perte des armes, pour la négligence dans les sentinelles pendant la nuit. Si la bastonnade ne devoit pas aller jusqu’à la mort, on se servoit d’un sarment de vigne pour les citoyens, & d’une autre baguette, ou même de verges pour les alliés. S’il y avoit un grand nombre de coupables, on les décimoit, ou bien l’on prenoit le vingtieme, ou le centieme, selon la griéveté de la faute.

Comme les punitions qui emportent avec elles plus de honte que de douleur, sont les plus convenables à la guerre, l’ignominie étoit aussi une des plus grandes. Elle consistoit, par exemple, à donner de l’orge aux soldats au lieu de blé, à les priver de toute la paye, ou d’une partie seulement. Cette derniere punition étoit sur-tout pour ceux qui quittoient leurs enseignes ; on leur retranchoit la paye pour tout le tems qu’ils avoient servi avant leur faute. La troisieme espece d’ignominie, étoit d’ordonner à un soldat de sauter au delà d’un retranchement ; cette punition étoit faite pour les poltrons. On les punissoit encore en les exposant en public avec leur ceinture détachée, & dans une posture molle & efféminée. Cette exposition se faisoit dans la rue du camp appellée principia : c’est-là que s’exécutoient aussi les autres châtimens. Enfin, pour comble d’ignominie, on les faisoit passer d’un ordre supérieur dans un autre fort au-dessous, comme des triariens dans les piquiers, ou dans les vélites. Il y avoit encore quelques autres punitions peu usitées.

La derniere chose dont il nous reste à parler touchant la discipline militaire, est le congé ; il étoit honnête, ou diffamant : le congé honnête, étoit celui que l’on obtenoit après avoir servi pendant tout le tems prescrit, ou bien à cause de maladie, ou de quelqu’autre chose. Ceux qui quittoient le service après avoir servi leur tems, étoient mis au nombre de ceux qu’on appelloit beneficiarii, qui étoient exempts de servir, & souvent on prenoit parmi eux les gens d’élite, evocati. Ce congé honnête pouvoit encore s’obtenir du général par faveur. Le congé diffamant, étoit lorsqu’on étoit chassé & déclaré incapable de servir, & cela pour quelque crime.

Sous Auguste, on mit en usage un congé appellé exauctoratio, qui ne dégageoit le soldat que lorsqu’il étoit devenu vétéran. On nommoit ce soldat vexillaire, parce qu’il étoit attaché à un drapeau, & que dans cet état il attendoit les récompenses militaires. De plus, quand le tems de son service étoit fini, on lui donnoit douze mille sesterces. Les prétoriens qui furent institués par cet empereur, au bout de seize ans de service, en recevoient vingt milles : quelquefois on donnoit aux soldats des terres en Italie, ou en Sicile.

On peut maintenant se former une idée complette de la discipline militaire des Romains, & du haut point de perfection où ils porterent l’art de la guerre, dont ils firent sans cesse leur étude jusqu’à la chûte de la république : c’est sans doute un dieu, dit Végece, qui leur inspira la légion, Ils jugerent qu’il