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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/550

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sert dans les autres genres : la peinture à huile, la détrempe, la gouache, voyez à ces mots, ont à-peu-près les mêmes ; la fresque en adopte une partie, voyez Fresque. L’émail en a de particulieres ; il importe beaucoup en miniature de n’employer que des couleurs légeres, mais qui ayent cependant un certain corps, sans être pâteuses : il en est sur-tout dont il faut éviter de se servir, telles sont celles qui tiennent entiérement des métaux, des minéraux, ou de certains végétaux. On doit plutôt préférer les couleurs extraites des terres, des gommes ou du regne animal.

Outre les cabinets des curieux ou des connoisseurs, que la miniature peut enrichir de ses chef d’œuvres, elle orne encore souvent des boîtes, des brasselets, des bagues & autres bijoux ; mais dans ces trois dernieres places, elle est plus exposée à différens degrés de chaleur, aussi en reçoit-elle de plus grands dommages : car les couleurs tirées des végétaux en jaunissent, rougissent ou se dissipent. Celles des métaux ou des minéraux noircissent ou pâlissent infailliblement à la chaleur, ainsi qu’à l’air, selon que leur partie métallique, qui est toujours la plus considérable, se dépouille de cette chaux vitriollque ou sulphureuse qui formoit tout leur éclat ; c’est alors qu’elles tourmentent les autres couleurs qui leur ont été alliées. Il semble qu’il seroit à désirer, que ceux qui s’appliquent avec amour à cet art, examinassent toujours en bons naturalistes, la nature, la force, ou l’antipathie de leurs couleurs ; ils éviteroient, sans doute, ce changement subit qu’éprouvent leurs tableaux, & conserveroient par là cette fraîcheur de couleur, mérite si justement vanté dans les écoles Lombarde & Vénitienne ; mais on croit pouvoir le dire, souvent pour s’épargner la multiplicité des teintes, on préfere de charger la palette d’un grand nombre de couleurs simples, qui, les unes métalliques, les autres végétales, s’entre-détruisent en très-peu de tems, & ne laissent à celui qui les a placées avec beaucoup d’art, que l’inutile regret d’avoir ménagé ses soins & perdu son tems. Cette réfléxion arrachée par l’amour pour les Arts, semble pouvoir s’étendre sur presque tous les genres de peinture.

Il résulte de toutes ces observations, qu’on ne doit employer à la miniature, que les couleurs sur lesquelles la chaleur ou le grand air agissent le moins. Les terres semblent remplir le mieux cet objet, quoique bien des peintres les rejettent, comme trop pâteuses & peu colorantes ; à cela l’expérience répond qu’il n’est point de substance, si dure soit-elle, qu’on ne vienne à bout de réduire impalpable, avec du soin & de la patience, lorsqu’il y va d’un succès glorieux dans ce que l’on entreprend. Il ne s’agit donc que de les broyer suffi amment, (voyez Broyer, Bistre) sur l’écaille de mer, ou plutôt sur une glace brutte. Les Peintres, jaloux de la pureté de leurs couleurs, ne doivent confier ce soin à personne.

En rejettant ainsi toutes les couleurs, qui tiennent des métaux ou de certains végétaux, excepté quelques-unes que l’on n’a encore pû remplacer par d’autres, il n’en resteroit qu’un petit nombre. On va donner les noms des unes & des autres ; celles que l’on croit devoir préférer seront marquées d’une astérique.

On peut voir ces couleurs chacune à son article.

* Carmin, compos. qui ne change point.
* Vermillon, minér.
Mine de plomb rouge, métall.
Orpin rouge, minér.
* Pierre de fiel, reg. anim.
Jaune de Naples, minér.
* Stile de grain de Troyes, vég. le moins pâle est le meilleur.

* Gomme gutte, fondue dans de l’eau, sans gomme.
Orpin pâle, minér.
Massicot doré, métall.
Massicot pâle, métall.
Cendre verte, minér.
Verd de montagne, minér.
Verd de vessie, vég.
Verd d’Iris, vég.
* Cendre bleue, minér.
* Outremer, pi, le plus foncé en couleur.
* Bleu de Prusse, reg. anim.
Tournesol, vég.
Cochenille, vég.
* Laque, compos.
Kermès, vég.
* Bistre, le plus roux, & sur-tout celui qui se fait par ébullition.
* Terre d’ombre, sans être brûlée.
* Sanguine, pi.
* Rouge brun, d’Angleterre, terre. le plus foncé.
* Ocre rouge, terre.
* Terre d’Italie, la véritable.
* Stile de grain, d’Angleterre, vég. le plus tendre.
Ocre de rhue, terre. sans être brûlé.
* Encre de la Chine, la plus rousse.
Noir d’ivoire.
Blanc de plomb ou de céruse, métall. le blanc fait d’os de pié de mouton calcinés, & préparés comme le bistre, ne change jamais. Voyez Bistre.
* Fiel d’anguille ou de brochet, sans gomme. Le fiel d’anguille est une espece de stile de grain, car il est très-bon pour glacer. Il peut varier les verds dans le paysage, étant mêlé avec différens bleus. On s’en sert aussi pour donner de la force aux couleurs sourdes.

On croit devoir proposer, en place du noir d’ivoire qui a trop de corps, un noir semblable au noir de charbon, voyez à ce mot ; mais aussi léger que l’encre de la Chine.

Ce noir se fait avec l’amande qui se trouve dans la noix d’Acajou, voyez Acajou ; il faut ôter la pellicule qui est dessus. On calcine ensuite l’amande au feu, & on l’éteint aussi-tôt dans un linge mouillé d’eau-de-vie, ou de vinaigre. Du reste, elle se prépare comme le bistre & les autres couleurs, observant de la broyer à plusieurs reprises, & de la laisser secher chaque fois.

Toutes les couleurs ci-dessus se conservent, non dans les godets d’yvoire ou de bois, qui les desséchent, les ruinent ; mais dans des coquilles bien lavées auparavant : on en met environ deux bonnes pincées dans chaque coquille, & on les détrempe avec un peu d’eau de gomme arabique, à consistance de crème un peu épaisse. Il importe beaucoup de savoir gommer les couleurs à-propos, c’est-à-dire, que l’eau ne soit ni trop foible, ni trop forte de gomme ; car de-là s’en suit la sécheresse ou la dureté des couleurs au bout du pinceau, & la touche en souffre beaucoup. Pour connoître si elles sont assez gommées, il faut, après les avoir délayées dans leurs coquilles, en prendre un peu au bout du doigt, & en toucher le creux de la main, on les laisse un instant sécher. Si en remuant ou agi ant les doigts de cette main, la couleur se fend & s’écaille, elle est trop gommée ; il faut alors la détremper avec un peu d’eau sans gomme. Si au contraire, en passant le doigt dessus elle s’efface, elle n’est pas assez gommée : le medium est aisé à trouver ; on la redélaie avec un peu d’eau de gomme, ce qu’on doit observer pour les couleurs qui veulent un peu plus de gomme que les autres : on a eu soin de les marquer d’une ✝.