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Il faut remarquer que quand la septieme note n’est qu’à un semi-ton de l’octave, c’est-à-dire quand elle fait la tierce majeure de la dominante, comme le si naturel dans le mode majeur d’ut, ou le sol dièse dans le mode mineur de la ; alors cette septieme note s’appelle note sensible, parce qu’elle annonce la tonique, & fait sentir le ton.

Non-seulement chaque degré prend le nom qui lui convient, mais chaque intervalle est déterminé relativement au mode : voici les regles établies pour cela.

1°. La seconde note, la quatrieme, & la dominante, doivent toujours faire sur la tonique une seconde majeure, une quarte & une quinte justes, & cela également dans les deux modes.

2°. Dans le mode majeur, la médiante ou tierce, la sixte & la septieme doivent toujours être majeures : c’est le caractere du mode. Par la même raison ces trois intervalles doivent être mineurs dans le mode mineur ; cependant, comme il faut aussi qu’on y apperçoive la note sensible, ce qui ne se peut faire tandis que la septieme reste mineure, cela cause des exceptions auxquelles on a égard dans l’harmonie & dans le cours du chant ; mais il faut toujours que la clef avec ses transpositions donne tous les intervalles déterminés par rapport à la tonique, selon le caractere du mode : on trouvera au mot Clef transposée une regle générale pour cela.

Comme toutes les cordes naturelles de l’octave d’ut donnent, relativement à cette tonique, tous les intervalles prescrits par le mode majeur, & qu’il en est de même de l’octave de la pour le mode mineur : l’exemple précédent, que nous n’avons proposé que pour les noms des notes, doit encore servir de formule pour la regle des intervalles dans chaque mode.

Cette regle n’est point, comme on pourroit le penser, établie sur des principes arbitraires, elle a son fondement dans la génération harmonique. Si vous donnez l’accord parfait majeur à la tonique, à la dominante, & à la sous-dominante, vous aurez tous les sons de l’échelle diatonique pour le mode majeur. Pour avoir celle du mode mineur, faites la tierce mineure dans les mêmes accords : telle est l’analogie & la génération du mode.

Il n’y a proprement que deux modes, comme on vient de le voir ; mais comme il y a douze sons fondamentaux, qui sont autant de tons, & que chacun de ces tons est susceptible du mode majeur ou du mode mineur, on peut composer en vingt-quatre manieres ou modes différens. Il y en a même trente-quatre possibles, mais dans la pratique on en exclut dix, qui ne sont au fond que la répétition des dix autres, considérés sous des relations beaucoup plus difficiles, où toutes les cordes changeroient de nom, & où l’on auroit mille peines à le reconnoître. Tels sont les modes majeurs sur les notes diésées, & les modes mineurs sur les bémols. Ainsi, au-lieu de composer en sol dièse, tierce majeure, vous composerez en la bémol qui donne les mêmes touches ; & au-lieu de composer en re bémol mineur, vous prendrez en ut dièse par la même raison : & cela, pour éviter d’avoir d’un côté un fa double dièse, qui deviendroit un sol naturel ; & de l’autre un si double bémol, qui deviendroit un la naturel.

On ne reste pas toujours dans le mode ni dans le ton par lequel on a commencé un air ; mais pour varier le chant, ou pour ajouter à l’expression, on change de ton & de mode, selon l’analogie harmonique, revenant pourtant toujours à celui qu’on a fait entendre le premier, ce qui s’appelle moduler. Voyez Modulation.

Les anciens different prodigieusement les uns des

autres sur les définitions, les divisions, & les noms de leurs modes, ou tons comme ils les appelloient ; obscurs sur toutes les parties de la musique, ils sont presque inintelligibles sur celle-ci. Ils conviennent, à la vérité, qu’un mode est un certain système ou une constitution de sons, & que cette constitution n’est autre chose qu’une octave avec tous ses sons intermédiaires : mais quant à la différence spécifique des modes, il y en a qui semblent la faire consister dans les diverses affections de chaque son de l’octave, par rapport au son fondamental, c’est-à-dire dans la différente position des deux semi-tons plus ou moins éloignés de ce son fondamental, mais gardant toujours entre eux la distance prescrite. D’autres au contraire, & c’est l’opinion commune, mettent cette différence uniquement dans l’intensité du ton, c’est-à-dire en ce que la série totale des notes est plus aiguë ou plus grave, & prise en différens lieux du système ; toutes les cordes de cette série gardant toujours entre elles les mêmes rapports.

Selon le premier sens, il n’y auroit que sept modes possibles dans le système diatonique ; car il n’y a que sept manieres de combiner les deux semi-tons avec la loi prescrite, dans l’étendue d’une octave. Selon le second sens, il y auroit autant de modes possibles que de sons, c’est-à-dire une infinité ; mais si l’on se renferme de même dans le genre diatonique, on n’y en trouvera non plus que sept, à-moins qu’on ne veuille prendre pour de nouveaux modes, ceux qu’on établiroit à l’octave des premiers.

En combinant ensemble ces deux manieres, on n’a encore besoin que de sept modes, car si l’on prend ces modes en différens lieux du système, on trouve en même tems les sons fondamentaux distingués du grave à l’aigu, & les deux semi-tons différemment situés, relativement à chaque son fondamental.

Mais outre ces modes, on en peut former plusieurs autres, en prenant dans la même série & sur le même son fondamental, différens sons pour les cordes essentielles du mode ; par exemple, quand on prend pour dominante la quinte du son principal, le mode est authentique ; il est plagal, si l’on choisit la quarte, & ce sont proprement deux modes différens sur la même corde fondamentale. Or, comme pour constituer un mode agréable il faut, disent les Grecs, que la quarte ou la quinte soient justes, ou du-moins une des deux, il est évident que l’on a dans l’étendue de l’octave, cinq fondamentales sur chacune desquelles on peut établir un mode authentique, & un plagal. Outre ces dix modes, on en trouve encore deux, l’un authentique qui ne peut fournir de plagal, parce que sa quarte fait le triton, l’autre plagal, qui ne peut fournir d’authentique, parce que sa quinte est fausse. C’est sans doute ainsi qu’il faut entendre un passage de Plutarque, où la Musique se plaint que Phrynis l’a corrompue, en voulant tirer de cinq cordes, ou plutôt de sept, douze harmonies différentes.

Voilà donc douze modes possibles dans l’étendue d’une octave ou de deux tétracordes disjoints ; que si l’on vient à conjoindre les tétracordes, c’est-à-dire à donner un bémol à la septieme en retranchant l’octave, ou si l’on divise les tons entiers par des intervalles chromatiques, pour y introduire de nouveaux modes intermédiaires, ou si, ayant seulement égard aux différences du grave à l’aigu, on place d’autres mode ; à l’octave des précédens ; tout cela fournira divers moyens de multiplier le nombre des modes beaucoup au-delà de douze : & ce sont là les seules manieres selon lesquelles on peut expliquer les divers nombres de modes admis ou rejettés par les anciens en différens tems.

L’ancienne musique ayant d’abord été renfermée