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sommet ne présente point un terrein uni comme celui des autres montagnes, ce sont des roches nues & dépouillées de terre que les eaux du ciel en ont emporté ; à leurs piés, elles ont des précipices & des vallées profondes, parce que ces eaux & celles des sources dont le mouvement est accéleré par leur chûte, ont excavé & miné le terrein qui s’y trouvoit, & l’ont quelquefois entierement entraîné.

2°. Ces montagnes primitives se distinguent des autres par leurs vastes chaînes ; elles tiennent communément les unes aux autres & se succedent pendant plusieurs centaines de lieues. Le P. Kircher & plusieurs autres ont observé que les grandes montagnes formoient autour du globe terrestre une espece d’anneau ou de chaîne, dont la direction est assez constante du nord au sud & de l’est à l’ouest ; cette chaîne n’est interrompue que pour ne point contraindre les eaux des mers, au-dessous du lit desquelles la base de ces montagnes s’étend & la chaîne se retrouve dans les îles, qui perpétuent leur continuation jusqu’à ce que la chaîne entiere reparoisse sur le continent. Cependant on trouve quelquefois de ces montagnes qui sont isolées, mais alors il y a lieu de présumer qu’elles communiquent sous terre à d’autres montagnes de la même nature souvent fort éloignées, avec lesquelles elles ne laissent pas d’être liées : d’où l’on voit que les montagnes primitives peuvent être regardées comme la base, ou, pour ainsi dire, la charpente de notre globe.

3°. Les montagnes primitives se distinguent encore par leur structure intérieure, par la nature des pierres qui les composent, & par les substances minérales qu’elles renferment. En effet, ces montagnes ne sont point par lits ou par bandes aussi multipliées que celles qui ont été formées récemment ; la pierre qui les compose est ordinairement une masse immense & peu variée, qui s’enfonce dans les profondeurs de la terre perpendiculairement à l’horison. Quelquefois cependant l’on trouve différentes couches qui couvrent même ces montagnes primitives, mais ces couches ou ces lits doivent être regardés comme des parties qui leur sont entierement étrangeres : ces couches ont couvert le noyau de la montagne primitive sur lequel elles ont été portées, soit par les eaux de la mer qui a couvert autrefois une grande partie de notre continent, soit par les feux souterreins, soit par d’autres révolutions, dont nous parlerons en traitant des montagnes récentes. Une preuve de cette vérité que ceux qui habitent dans les pays de hautes montagnes peuvent attester, c’est que souvent à la suite des tremblemens de terre ou des pluies de longue durée, on a vû quelques-unes de ces montagnes se dépouiller subitement des couches ou de l’espece d’écorce qui les enveloppoit, & ne présenter plus aux yeux qu’une masse de roche aride, & former une espece de pyramide ou de pain de sucre.

Quant à la matiere qui compose ces montagnes primitives, c’est pour l’ordinaire une roche très dure, qui fait feu, avec l’acier, que les Allemands nomment hornstein ou pierre cornée ; elle est de la nature du jaspe ou du quartz. D’autres fois c’est une pierre calcaire & de la nature du spath. La pierre qui compose le noyau de ces sortes de montagnes n’est point interrompue pas des couches de terre ou de sable, elle est communément assez homogene dans toutes ses parties.

Enfin, ce n’est que dans les montagnes primitives dont nous parlons, que l’on rencontre des mines par filons suivis, qui les traversent & forment des especes de rameaux ou de veines dans leur intérieur. Je dis de vrais filons, c’est-à-dire, des fentes survies, qui ont de l’étendue, une direction marquée, quelquefois contraire à celle de la roche où elles se trouvent, & qui sont remplies de substances métalli-

ques, soit pures, soit dans l’état de mine. Voyez

Filons.

Ces principes une fois posés, il sera très aisé de distinguer les montagnes que nous appellons primitives, de celles qui sont dûes à une formation plus récente. Parmi les premieres on doit placer en Europe les Pyrénées, les Alpes, l’Apennin, les montagnes du Tyrol, le Riesemberg ou monts des Géans en Silésie, les monts Crapacs, les montagnes de la Saxe, celles des Vosges, le mont Bructere au Hartz, celles de Norwege, &c. en Asie, les monts Riphées, le Caucase, le mont Taurus, le mont Liban ; en Afrique, les monts de la Lune ; & en Amérique, les monts Apalaches, les Andes ou les Cordilieres qui sont les plus hautes montagnes du monde. La grande élévation de ces sortes de montagnes fait qu’elles sont presque toûjours couvertes de neige, même dans les pays les plus chauds, ce qui vient de ce que rien ne les peut garantir des vents, & de ce que les rayons du soleil qui donnent sur les vallées ne sont point réfléchis jusqu’à une telle hauteur. Les arbres qui y croissent ne sont que des sapins, des pins, & des bois résineux ; & plus on approche de leur sommet, plus l’herbe est courte ; elles sont souvent arides parce que les eaux du ciel ont dû entraîner les terres qui ont pû les couvrir autrefois. Scheuchzer & tous ceux qui ont voyagé dans les Alpes, nous apprennent que l’on trouve communément sur ces montagnes les quatre saisons de l’année : au sommet, on ne rencontre que des neiges & des glaces (Voyez l’article Glaciers) ; en descendant plus bas, on trouve une température telle que celle des beaux jours du printems & de l’automne ; &, dans la plaine, on éprouve toute la chaleur de l’été. D’un autre côté, l’air que l’on respire au sommet de ces montagnes est très-pur, moins gâté par les exhalaisons de la terre, ce qui, joint à l’exercice, rend les habitans plus sains & plus robustes. Un des plus grands avantages que les hautes montagnes procurent aux hommes, c’est, comme nous l’avons déja remarqué, qu’elles servent de réservoirs aux eaux qui forment les rivieres. C’est ainsi que nous voyons que les Alpes donnent naissance au Rhin, au Danube, au Rhône, au Pô, &c. De plus, on ne peut douter que les montagnes n’influent beaucoup sur la température des pays où elles se trouvent, soit en arrêtant certains vents, soit en opposant des barrieres aux nuages, soit en réfléchissant les rayons du soleil, &c.

Quoique toutes les montagnes primitives aient en général beaucoup plus d’élévation que celles qui ont été formées récemment & par les révolutions du globe, elles ne laissent point de varier infiniment pour leur hauteur. Les plus hautes montagnes que l’on connoisse dans le monde sont celles de la Cordiliere, ou des Andes dans l’Amérique. M. de la Condamine qui a parcouru ces montagnes, & qui les a examinées avec toute l’attention dont un si habile géometre est capable, nous apprend, dans son voyage à l’équateur, que le terrein de la plaine où est bâtie la ville de Quito au Pérou, est à 1470 toises au-dessus du niveau de la mer, & que plusieurs des montagnes de cette province ont plus de 3000 toises de hauteur perpendiculaire au-dessus de ce terrein : d’où l’on voit que presque toutes les autres montagnes de l’univers ne peuvent être regardées que comme des coilines, si on les compare à celles du Pérou. Quelques unes de ces montagnes sont des volcans & vomissent de la fumée & des flammes, ce qui est cause que ce pays est si souvent ébranlé par d’affreux tremblemens de terre.

Après avoir fait connoître les signes qui caractérisent les montagnes que nous avons appellées primitives, il faut maintenant examiner ceux des mon-