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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/721

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tels qu’on ne peut même se fier à la mort ».

Causes. Il n’est pas possible de déterminer quelles sont les causes qui occasionnent la mort, & quelle est leur maniere d’agir, sans connoître auparavant celles qui entretiennent cette continuité & cette réciprocité d’actions qui forment la vie. Voyez Vie, Économie animale. On peut regarder du-moins dans l’homme, & dans les animaux dont la structure est à-peu-près semblable, la circulation du sang ou le mouvement du cœur & des arteres, comme le signe le plus assuré, la mesure la plus exacte, & la cause la plus évidente de la vie. Deux autres fonctions surnommées aussi vitales, savoir la respiration & l’action du cerveau, concourent essentiellement à l’intégrité de cette premiere, qui est la fonction par excellence. La nécessité de la respiration est fondée sur ce que tout le sang qui va se distribuer dans les différentes parties du corps, est obligé, depuis l’instant de la naissance, de passer par les poumons : aussi dès que le mouvement de ce viscere, sans lequel ce passage du sang ne peut avoir lieu, vient à cesser, la circulation est entierement arrêtée par tout le corps, le cœur & les arteres cessent tout de suite leurs battemens ; & ce qu’il y a de remarquable, c’est que dès le moment qu’on fait recommencer la respiration, on renouvelle les contractions alternatives du cœur. Quelques écrivains, observateurs peu exacts & anatomistes mal instruits, ont pensé que dans les personnes qui restoient long-tems sans respirer, le trou ovale ouvert & le canal artériel conservant les propriétés & les usages qu’il avoit dans le fœtus, suppléoient à la respiration, en donnant lieu à une circulation particuliere, telle qu’on l’observe dans le fœtus ; mais c’est un fait gratuitement avancé, qui n’a d’autre fondement que la difficulté de trouver une explication plus conforme aux préjugés qu’on s’est formé sur les causes de la vie & de la mort. Il est d’ailleurs contraire aux observations anatomiques & à l’expérience qui fait voir que dans les noyés & les pendus, les mouvemens du cœur & les arteres ne sont pas moins interceptés que ceux des organes de la respiration. On n’a encore rien de bien décidé sur la maniere dont le cerveau influe sur les organes de la circulation ou de la vie : le fluide nerveux si universellement admis n’est appuyé sur aucune preuve satisfaisante ; & le solidisme des nerfs rejetté sans examen plus conforme au témoignage des sens & à la plûpart des phénomenes de l’économie animale, souffre encore quelques difficultés ; mais quel que soit le méchanisme de cette action, il est certain qu’elle est nécessaire au jeu des nerfs : les observations & les expériences concourent à prouver la nécessité d’une libre communication des nerfs cardiaques entre le cerveau & le cœur, pour continuer les mouvemens de cet organe ; mais il est à-propos de remarquer que le cœur continue de battre quelquefois assez long-tems, malgré la ligature, la section, l’entiere destruction de tous ces nerfs ou d’une grande partie. Willis lia dans un chien les nerfs de la paire vague ou de la huitieme paire, qui, de concert avec les rameaux de l’intercostal, vont former le plexus cardiaque & se distribuer au cœur ; le chien après cette opération tomba muet, engourdi, eut des frissons, des mouvemens convulsifs dans les hypocondres : ces mêmes nerfs entierement coupés, il ne laissa pas de vivre plusieurs jours, refusant constamment de manger. Cerebr. anatom. page 234. Lower a réitéré cette expérience avec le même succès, de corde, pag. 90. Vieussens est encore allé plus loin, pour ôter lieu à tout vain subterfuge : il coupa ces nerfs & ceux qui concourent à la formation de l’intercostal ; & malgré cela le chien qu’il soumit à ce martyre philosophique vécut plus de vingt heures. Nevrograph. pag. 179. On observe que les

jeunes animaux, plus muqueux & par conséquent plus irritables, résistent encore plus long-tems à ces épreuves ; ils sont beaucoup plus vivaces. Il est certain que dans les apoplexies fortes l’action du cerveau est très-dérangée, souvent anéantie : il arrive cependant quelquefois que le cœur continue de battre à l’ordinaire, tandis que tous les autres mouvemens sont interrompus. L’exemple d’une personne qui garda pendant long-tems un abscès au cervelet, joint aux expériences que nous avons rapportées, font voir évidemment que l’ingénieuse distinction des nerfs qui naissent du cervelet d’avec ceux qui tirent leur origine du cerveau, fondement peu solide de la fameuse théorie des maladies soporeuses proposée par Boerrhaave, si accréditée dans les écoles, que cette distinction, dis-je, est purement arbitraire, absolument nulle. Il résulte de là que la cause du mouvement du cœur ne réside point dans les nerfs qui s’y distribuent ; ils ne me paroissent avoir d’autre usage que celui de produire & d’entretenir son extrème & spéciale contractilité, principe fondamental & nécessaire de tout mouvement animal. Voyez Sensibilité. Le principal, ou pour mieux dire l’unique moteur actif du cœur, est le sang qui y aborde, qui irritant les parois sensibles des ventricules, en détermine conséquemment aux lois de l’irritabilité les contractions alternatives. Voyez Cœur. Ce que je dis du cœur doit s’appliquer aux arteres qui suivent les mêmes lois, & qui semblent n’être qu’une continuation ou une multiplication de cet organe.

Toutes les causes de mort tendent à suspendre les mouvemens du cœur, les unes agissant sur les nerfs ou sur le cerveau, attaquent & détruisent l’irritabilité, paralysent pour ainsi dire le cœur, le rendent insensible à l’impression du sang, ou le mettent hors d’état d’exécuter les mouvemens accoutumés ; les autres opposent des obstacles invincibles à l’expulsion du sang, ou empêchent son retour dans les ventricules. On peut compter quatre especes, quatre causes générales de mort, ou quatre façons particulieres de mourir : 1°. la mort naturelle ou de vieillesse ; 2°. la mort violente ; 3°. la mort subite ; 4°. la mort de maladie, qui se rapportent aux deux causes premierement établies.

I. La mort de vieillesse est celle qui arrive naturellement aux vieillards décrépits, par le défaut des organes propres à cet âge, indépendamment de toute maladie étrangere. Quelques auteurs aussi peu au fait de la vraie morale que de la saine physique, pour trouver une raison de cette mort, ont eu recours à des causes finales toujours incertaines, à des volontés expresses de Dieu ; ayant à expliquer comment on mouroit dans ces circonstances, ils ont mal déterminé le pourquoi : d’autres, aussi mauvais physiciens, ont gratuitement attribué cette mort aux fatigues de l’ame, au dégoût qu’ils lui ont supposé de rester trop long-tems emprisonnée dans notre frêle machine. Van-Helmont l’a déduit de l’extinction de la flamme vitale & du chaud inné : cette idée est du-moins plus naturelle, mais elle n’explique encore rien. Il reste à déterminer quelle est la cause de cette extinction.

On trouve dans la structure du corps humain & dans l’examen de ses propriétés, des raisons très simples de cette mort : on n’a qu’à observer les changemens qui arrivent dans l’organisation du corps & dans le méchanisme des fonctions lorsque l’âge augmente, on verra que depuis le premier instant que l’on commence à vivre, les fibres deviennent plus fortes, plus serrées, moins sensibles, moins irritables. Dans la vieillesse, la plûpart des petits vaisseaux s’obliterent, les visceres se durcissent, les secrétions diminuent, la peau n’est plus humectée, la maigreur augmente de plus en plus jusqu’au point