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dissiper, le retour de la vie est impossible, de même que dans les morts violentes où les nerfs cardiaques sont coupés, le cerveau considérablement blessé, la partie médullaire particulierement affectée ; la destruction du cœur, des poumons, de la trachée artere, des gros vaisseaux, des visceres principaux, &c. entraîne aussi nécessairement la mort absolue, il est rate qu’elle ne succede pas promptement à la mort imparfaite, lorsqu’elle est amenée par quelque maladie, & qu’elle est précédée des signes mortels. Il y a cependant quelques observations qui font voir que la mort, arrivée dans ces circonstances, a été dissipée. Enfin il n’y a plus d’espoir lorsque la putréfaction est décidée ; nous n’avons aucune observation dans les fastes de la Médecine de résurrection opérée après l’apparition des signes de-pourriture.

Curation. C’est un axiome généralement adopté que

Contra vim mortis nullum est medicamen in hortis.

qu’à la mort il n’y a point de remede ; nous osons cependant assurer, fondés sur la connoissance de la structure & des propriétés du corps humain, & sur un grand nombre d’observations, qu’on peut guérir la mort, c’est-à-dire, appeller le mouvement suspendu du sang & des vaisseaux, jusqu’à ce que la putréfaction manifestée nous fasse connoître que la mort est absolue, que l’irritabilité est entierement anéantie, nous pouvons esperer d’animer ce principe, & nous ne devons rien oublier pour y réussir. Je n’ignore pas que ce sera fournir dans bien des occasions un nouveau sujet de badinage & de raillerie à quelques rieurs indiscrets, & qu’on ne manquera pas de jetter un ridicule sur les Médecins, qui étendront jusqu’aux morts l’exercice de leur profession. Mais en premier lieu, la crainte d’une raillerie déplacée ne balancera jamais dans l’esprit d’un médecin sensé l’intérêt du public, & ne le fera jamais manquer à son devoir. 2°. Quoique dans le plus grand nombre de cas les secours administrés soient inutiles pour dissiper la mort ; ils servent de signes pour constater la mort absolue, & empêchent de craindre que les morts reviennent à la vie dans un tombeau où il ne seroit pas possible de s’en appercevoir, & où ils seroient forcés de mourir une seconde fois, de faim, de rage & de désespoir. 3°. Enfin, l’espérance de réussir doit engager les Médecins à ne pas abandonner les morts ; un seul succès peut dédommager de mille tentatives infructueuses ; l’amour-propre peut il être plus agréablement flatté que par la satisfaction vive & le plaisir délicat d’avoir donné la vie à un homme, de l’avoir tiré des bras même de la mort ? Y a-t-il rien qui rende les hommes plus approchans de la divinité que des actions semblables ? D’ailleurs rien n’est plus propre à augmenter la réputation & l’intérêt qui en est d’ordinaire la suite, attraits plus solides, mais moins séduisans. Toute l’antiquité avoit une admiration & une vénération pour Empedocle, parce qu’il avoit rendu l’usage de la vie à une fille qui n’en donnoit depuis quelque-tems aucun signe, & qu’on croyoit morte. Apollonius de Tyane soutint par une résurrection très-naturelle qu’il opéra avec un peu de charlatanisme, sa réputation de sorcier, & fit croire qu’il avoit des conversations avec le diable ; voyant passer le convoi d’une femme morte subitement le jour de ses nôces, il fait suspendre la marche, s’approche de la biere, empoigne la femme, la sécoue rudement, & lui dit du air mystérieux quelques paroles à l’oreille ; la morte donne à l’instant quelques signes de vie, & attire par-là une grande vénération au rusé charlatan ; c’est par de semblables tours d’adresse qu’on donne souvent un air de surnaturel

& de magique à des faits qui n’ont rien d’extraordinaire. Asclépiade, médecin, fut dans un pareil cas aussi heureux & moins politique, ou charlatan ; il vit dans une personne qu’on portoit en terre quelques signes de vie, ou des espérances de la rappeller, la fait reporter chez elle, malgré la résistance des héritiers avides, & lui rendit, par les secours convenables, la vie & la santé. Pour compromettre encore moins sa réputation & l’efficacité des remedes appropriés, un médecin doit faire attention aux circonstances où ils seroient tout-à fait inutiles, comme lorsque la mort absolue est décidée, ou qu’elle paroît inévitable ; lorsque la pourriture se manifeste, lorsque quelque viscere principal est détruit, lorsque la mort est le dernier période de la vieillesse, &c. il seroit, par exemple, très-absurde de vouloir rappeller à la vie un homme à qui on auroit tranché la tête, arraché le cœur, coupe l’aorte, l’artere pulmonaire, la trachée artere, les nerfs cardiaques, &c. on ne peut raisonnablement s’attendre à quelqu’effet des secours, que pendant le tems que l’irritabilité subsiste, & que les différens organes conservent leur structure, leur force & leur cohésion ; l’expérience nous montre les moyens dont nous devons nous servir pour renouveller les mouvemens suspendus ; elle nous apprend que l’irritation faite sur les parties musculeuses sur le cœur, en fait recommencer les contractions ; ainsi un médecin qui se propose de rappeller un mort à la vie, après s’être assuré que la mort est imparfaite, doit au plûtot avoir recours aux remedes les plus actifs ; ils ne sauroient pécher par trop de violence, & choisir sur-tout ceux qui agissent avec force sur les nerfs, qui les sécouent puissamment ; les émétiques & les cordiaux énergiques seroient d’un grand secours, si on pouvoit les faire avaler, mais souvent on n’a pas cette ressource, on est borné à l’usage des secours exterieurs & moyens. Alors, il faut secouer, piquer, agacer les différentes parties du corps, les irriter par les stimulans appropriés ; 1°. les narines par les sternutatoires violens, le poivre, la moutarde, l’euphorbe, l’esprit de sel ammoniac, &c. 2°. les intestins par des lavemens acres faits avec la fumée ou la décoction de tabac, de sené, de coloquinte, avec une forte dissolution de sel marin ; 3°. le gosier, non pas avec des gargarismes, comme quelques auteurs l’ont conseille, sans faire attention qu’ils exigent l’action des muscles du palais, de la langue & des joues, mais avec les barbes d’une plume, ou avec l’instrument fait exprès qui, à cause de son effet, est appellé la ratissoire ou le balai de l’estomac ; & souvent ces chatouillemens font une impression plus sensible que les douleurs les plus vives ; 4°. enfin tout le corps par des frictions avec des linges chauds imbibes d’essences spiritueuses aromatiques, avec des brosses de crin, ou avec la main simplement, par des ventouses, des vésicatoires, des incisions, & enfin par l’application du feu ; toutes ces irritations extérieures doivent être faites dans les parties les plus sensibles, & dont la lésion est la moins dangereuse : les incisions, par exemple, sur des parties tendineuses, à la plante des piés, les frictions, les vésicatoires & les ventouses font plus d’effet sur l’épine du dos & le mamelon. Une sage-femme a rappellé plusieurs enfans nouveau nés à la vie, en frottant pendant quelque-tems, avec la main sèche, le mamelon gauche ; personne n’ignore à quel point cette partie est sensible, & lorsque la friction ne suffisoit pas, elle suçoit fortement à plusieurs reprises ce mamelon, ce qui faisoit l’effet d’une ventouse. On ne doit pas se rebuter du peu de succès qui suit l’administration de ces secours, on doit les continuer, les varier, les diversifier ; le succès peut amplement dédomma-