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Guillaume III. accepta la dédicace de la seconde partie de sa théorie, & lui accorda le titre de son chapelain, à la sollicitation du célebre Tillotson. Mais notre philosophe ne tarda pas à se dégoûter de la cour, & à revenir à la solitude & aux livres. Il ajouta à sa théorie ses archéologues philosophiques, ou les preuves que presque toutes les nations avoient connu la cosmogonie de Moïse comme il l’avoit conçue ; & il faut avouer que Burnet apperçut dans les anciens beaucoup de singularités qu’on n’y avoit pas remarquées : mais ses idées sur la naissance & la fin du monde, la création, nos premiers parens, le serpent, le déluge & autres points de notre foi, ne furent pas accueillies des théologiens avec la même indulgence que des philosophes. Son christianisme fut suspect. On le persécuta ; & cet homme paisible se trouva embarrassé dans des disputes, & suivi par des inimitiés qui ne le quitterent qu’au bord du tombeau. Il mourut âgé de 86 ans. Il avoit écrit deux ouvrages, l’un de l’état des morts & des ressuscités, l’autre de la foi & des devoirs du chrétien, dont il laissa des copies à quelques amis. Il en brûla d’autres par humeur. Voici l’analyse de son système.

Entre le commencement & la fin du monde, on peut concevoir des périodes, des intermédiaires, ou des révolutions générales qui changeront la face de la terre.

Le commencement de chaque période fut comme un nouvel ordre de choses.

Il viendra un dernier periode qui sera la consommation de tout.

C’est sur-tout à ces grandes catastrophes qu’il faut diriger ses observations. Notre terre en a souffert plusieurs dont l’histoire sacrée nous instruit, qui nous sont confirmées par l’histoire profane, & qu’il faut reconnoître toutes les fois qu’on regarde à ses piés.

Le déluge universel en est une.

La terre, au sortir du chaos, n’avoit ni la forme, ni la contexture que nous lui remarquons.

Elle étoit composée de maniere qu’il devoit s’ensuivre une dissolution, & de cette dissolution un déluge.

Il ne faut que regarder les montagnes, les vallées, les mers, les entrailles de la terre, sa surface, pour s’assurer qu’il y a eu bouleversement & rupture.

Puisqu’elle a été submergée par le passé, rien n’empêche qu’elle ne soit un jour brûlée.

Les parties solides se sont précipitées au fond des eaux ; les eaux ont surnagé ; l’air s’est élevé au-dessus des eaux.

Le séjour des eaux & leur poids agissant sur la surface de la terre, en ont consolidé l’intérieur.

Des poussieres séparées de l’air, & se répandant sur les eaux qui couvroient la terre, s’y sont assemblées, durcies, & ont formé une croûte.

Voilà donc des eaux contenues entre un noyau & une enveloppe dure.

C’est de-là qu’il déduit la cause du déluge, la fertilité de la premiere terre & l’état de la nôtre.

Le soleil & l’air continuant d’échauffer & de durcir cette croûte, elle s’entrouvrit, se brisa, & ses masses séparées se précipiterent au fond de l’abysme qui les soutenoit.

De-là la submersion d’une partie du globe, les gouffres, les vallées, les montagnes, les mers, les fleuves, les rivieres, les continences, leurs séparations, les îles & l’aspect général de notre globe.

Il part de-là pour expliquer avec assez de facilité plusieurs grands phénomenes.

Avant la rupture de la croûte, la sphere étoit droite ; après cet événement, elle s’inclina. De-là cette diversité de phénomenes naturels dont il est

parlé dans les mémoires qui nous restent des premiers tems, qui ont eu lieu, & qui ont cessé ; les âges d’or & de fer, &c.

Ce petit nombre de suppositions lui suffit pour justifier la cosmogonie de Moïse avec toutes ses circonstances.

Il passe de-là à la conflagration générale & à ses suites ; & si l’on veut oublier quelques observations qui ne s’accordent point avec l’hypothese de Burnet, on conviendra qu’il étoit difficile d’imaginer rien de mieux. C’est une fable qui fait beaucoup d’honneur à l’esprit de l’auteur.

D’autres abandonnerent la physique, & tournerent leurs vues du côté de la morale, & s’occuperent à la conformer à la loi de l’Evangile ; on nomme parmi ceux-ci Seckendorf, Boëcler, Paschius, Geuslengius, Becman, Wesenfeld, &c. Les uns se tirerent de ce travail avec succès ; d’autres brouillerent le christianisme avec différens systèmes d’éthique tant anciens que modernes, & ne se montrerent ni philosophes, ni chrétiens, Voyez la morale chrétienne de Crellius, & celle de Danée ; il regne une telle confusion dans ces ouvrages, que l’homme pieux & l’homme ne savent ni ce qu’ils doivent faire, ni ce qu’ils doivent s’interdire.

On tenta aussi d’allier la politique avec la morale du Christ, au hasard d’établir pour la société en général des principes qui, suivis à la lettre, la réduiroient en un monastere. Voyez là-dessus Buddée, Fabricius & Pfaffius.

Valentin Alberti prétend qu’on n’a rien de mieux à faire pour poser les vrais fondemens du droit naturel, que de partir de l’état de perfection, tel que l’Ecriture-sainte nous le représente, & de passer ensuite aux changemens qui se sont introduits dans le caractere des hommes sous l’état de corruption. Voyez son Compendium juris naturalis orthodoxiæ Theologiæ conformatum.

Voici un homme qui s’est fait un nom au tems où les esprits vouloient ramener tout à la révélation. C’est Jean Amos Comenius. Il nâquit en Moravie l’an 1592. Il étudia à Herborn. Sa patrie étoit alors le théâtre de la guerre. Il perdit ses biens, ses ouvrages & presque sa liberté. Il alla chercher un asyle en Pologne. Ce fut-là qu’il publia son Janua linguarum referata, qui fut traduit dans toutes les langues. Cette premiere production fut suivie du Synopsis physicæ ad lumen divinum reformatæ. On l’appella en Suisse & en Angleterre. Il fit ces deux voyages. Le comte d’Oxenstiern le protegea, ce qui ne l’empêcha pas de mener une vie errante & malheureuse. Allant de province en province & de ville en ville, & rencontrant la peine par-tout, il arriva à Amsterdam. Il auroit pû y demeurer tranquille ; mais il se mit à faire le prophete, & l’on sait bien que ce métier ne s’accorde guere avec le repos. Il annonçoit des pertes, des guerres, des malheurs de toute espece, la fin du monde, qui duroit encore, à son grand étonnement, lorsqu’il mourut en 1671. Ce fut un des plus ardens défenseurs de la physique de Moïse. Il ne pouvoit souffrir qu’on la décriât, sur-tout en public & dans les écoles. Cependant il n’étoit pas ennemi de la liberté de penser. Il disoit du chancelier Bacon, qu’il avoit trouvé la clef du sanctuaire de la nature ; mais qu’il avoit laissé à d’autres le soin d’ouvrir. Il regardoit la doctrine d’Aristote comme pernicieuse ; & il n’auroit pas tenu à lui qu’on ne brûlât tous les livres de ce philosophe, parce qu’il n’avoit été ni circoncis ni baptisé.

Bayer n’étoit pas plus favorable à Aristote ; il prétendoit que sa maniere de philosopher ne conduisoit à rien, & qu’en s’y assujettissant on disputoit à l’infini, sans trouver un point où l’on pût s’arrêter. On peut regarder Bayer comme le disciple de Come-