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porte sur la différence spécifique des noms, c’est-à-dire sur la nature des êtres déterminés qu’ils expriment.

Cette préférence universelle des terminaisons génériques sur les terminaisons personnelles pour les adjectifs, ne semble-t-elle pas insinuer que l’idée particuliere qui fixe la signification de l’adjectif, doit être rapportée à la nature des êtres ?

L’indétermination de l’être présenté à l’esprit par l’adjectif seul, nous indique une seconde propriété générale de cette idée caractéristique ; c’est qu’elle peut être rapportée à plusieurs natures : ceci se confirme encore par la mobilité des terminaisons de l’adjectif, selon le genre du nom auquel on l’applique ; la diversité des genres suppose celle des natures, du-moins des natures individuelles.

L’unité d’objet qui résulte toujours de l’union de l’adjectif avec le nom, démontre que l’idée particuliere qui constitue la signification individuelle de chaque adjectif, est vraiment une idée partielle de la nature totale de cet objet unique exprimé par le concours des deux parties d’oraison. Quand je dis, par exemple, loi, je présente à l’esprit un objet unique déterminé : j’en présente un autre également unique & déterminé, quand je dis loi évangélique : un autre quand je dis nos lois. L’idée de loi se trouve pourtant toujours dans ces trois expressions, mais c’est une idée totale dans le premier exemple, & dans les deux autres ce n’est plus qu’une idée partielle qui concourt à former l’idée totale, avec l’autre idée partielle qui constitue la signification propre ou de l’adjectif évangélique dans le second exemple, ou de l’adjectif nos dans le troisieme. Ce qui convient proprement à nos lois ne peut convenir ni à la loi évangélique ni à la loi en général ; de même ce qui convient proprement à la loi évangélique, ne peut convenir ni à nos lois ni à la loi en général : c’est que ce sont des idées totales toutes différentes ; mais ce qui est vrai de la loi en général, est vrai en particulier de la loi évangélique & de nos lois, parce que les idées ajoutées à celle de loi ne détruisent pas celle de loi, qui est toujours la même en soi.

Il résulte donc de ces observations que les adjectifs sont des mots qui présentent à l’esprit des êtres indéterminés, désignés seulement par une idée precise qui peut s’adapter à plusieurs natures.

Dans l’exposition synthétique des principes de Grammaire, telle qu’on doit la faire à ceux qu’on enseigne, cette potion des adjectifs sera l’origine & la source de toutes les métamorphoses auxquelles les usages des langues ont assujetti cette espece de mots, puisqu’elle en est ici le résultat analytique : non-seulement elle expliquera les variations des nombres, des genres & des cas, & la nécessité d’appliquer un adjectif à un nom pour en tirer un service réel, mais elle montrera encore le fondement de la division des adjectifs en adjectifs physiques & en adjectifs métaphysiques, & de la transmutation des uns en noms & des autres en pronoms.

Les adjectifs physiques sont ceux qui désignent les êtres indéterminés par une idée précise qui, étant ajoutée à celle de quelque nature déterminée, constitue avec elle une idée totale toute différente, dont la compréhension est augmentée, tels sont les adjectifs pieux, rond, semblable ; car quand on dit un homme pieux, un vase rond, des figures semblables, on exprime des idées totales qui renferment dans leur compréhension plus d’attributs que celles que l’on exprime quand on dit simplement un homme, un vase, des figures. C’est que l’idée précise de la signification individuelle de cette sorte d’adjectifs, est une idée partielle de la nature totale : d’où il suit que si l’on ne veut envisager les êtres dans le discours que comme revêtus de cet attribut exprimé nette-

ment par l’adjectif, il arrive souvent que l’adjectif

est employé comme un nom, parce que l’attribut qui y est précis constitue alors toute la nature de l’objet que l’on a en vûe. C’est ainsi que nous disons le bon, le vrai, l’honnête, l’utile, les François, les Romains, les Africains, &c.

Les adjectifs métaphysiques sont ceux qui désignent les êtres indéterminés par une idée précise qui, étant ajoutée à celle de quelque nature déterminée, constitue avec elle une idée totale, dont la compréhension est toujours la même, mais dont l’étendue est restreinte : tels sont les adjectifs le, ce, plusieurs ; car quand on dit le roi, ce livre, plusieurs chevaux, on exprime des idées totales qui renferment encore dans leur compréhension les mêmes attributs que celles que l’on exprime quand on dit simplement loi, livre, cheval, quoique l’étendue en soit plus restrainte, parce que l’idée précise de la signification individuelle de cette sorte d’adjectifs, n’est que l’idée d’un point de vûe qui assigne seulement une quotité particuliere d’individus. De-là vient que si l’on ne veut envisager dans le discours les êtres dont on parle que comme considérés sous ce point de vûe exprimé nettement par l’adjectif, il arrive souvent que l’adjectif est employé comme pronom, parce que le point de vûe qui y est précis est alors la relation unique qui détermine l’être dont on parle : c’est ainsi que nous disons, j’approuve ce que vous avez fait.

Peut-être qu’il auroit été aussi bien de faire de ces deux especes d’adjectifs deux parties d’oraison différentes, qu’il a été bien de distinguer ainsi les noms & les pronoms : la possibilité de changer les adjectifs physiques en noms & les adjectifs métaphysiques en pronoms, indique de part & d’autre les mêmes différences ; & la distinction effective que l’on a faite de l’article, qui n’est qu’un adjectif métaphysique, auroit pu & dû s’étendre à toute la classe sous ce même nom. Voyez Adjectif & Article.

6°. Les tems sont des formes exclusivement propres au verbe, & qui expriment les différens rapports d’existence aux diverses époques que l’on peut envisager dans la durée. Il paroît par les usages de toutes les langues qui ont admis des tems, que c’est une espece de variation exclusivement propre au verbe, puisqu’il n’y a que le verbe qui en soit revêtu, & que les autres especes de mots n’en paroissent pas susceptibles ; mais il est constant aussi qu’il n’y a pas une seule partie de la conjugaison du verbe qui n’exprime d’une maniere ou d’une autre quelqu’un de ces rapports d’existence à une époque (Voyez Tems), quoique quelques grammairiens célebres, comme Sanctius, aient cru & affirme le contraire, faute d’avoir bien approfondi la nature des tems. Cette forme tient donc à l’essence propre du verbe, à l’idée différencielle & spécifique de sa nature ; cette idée fondamentale est celle de l’existence, puisque comme le dit M. de Gamaches, dissert. I. de son astronomie physique, le tems est la succession même attachée à l’existence de la créature, & qu’en effet l’existence successive des êtres est la seule mesure du tems qui soit à notre portée, comme le tems devient à son tour la mesure de l’existence successive.

Cette idée de l’existence est d’ailleurs le seule qui puisse fonder la propriété qu’a le verbe, d’entrer nécessairement dans toutes les propositions qui sont les parties intégrantes de nos discours. Les propositions sont les images extérieures & sensibles de nos jugemens intérieurs ; & un jugement est la perception de l’existence d’un objet dans notre esprit sous tel ou tel attribut. Voyez l’introd. à la Philosoph. par s’Gravesande, liv. II. ch. vij ; & la rech. de la Vérité, liv. I. ch. j. ij. ces deux philosophes peuvent aisé-