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leurs sujets la paix & l’union. Leurs peres d’ailleurs sont vraissemblablement plus disposés à les recevoir, quand on leur a enlevé le miel : car, comme nous le dirons bientôt, il se fait pendant cette opération, une perte si considérable d’abeilles, que les ruches meres en sont dépeuplées ; ce qui dispose les survivans à recevoir leur postérité dans le sein de la famille.

Nous devons avoir déja entrevu que la grandeur des ruches doit être limitée. La pratique a fixé communément dans le climat de Narbonne, la grandeur & la figure à un prisme rectangulaire de 8 à 9 pouces de côté à sa base, sur environ 2 piés 8 pouces de hauteur mesuré intérieurement. Sur quoi nous remarquerons que cette hauteur les expose plus aux vents que si elle étoit moindre, & exige des travaux plus longs & plus pénibles des abeilles qui portent les provisions dans les rayons.

On sait que les vents, sur-tout ceux d’hiver, les tourmentent beaucoup. Or, plus les ruches seront courtes, moins les secousses seront grandes, & moins les abeilles en souffriront. Il en résultera encore que les abeilles auront moins de chemin à faire dans les ruches pour porter les mêmes provisions que si elles étoient hautes ; & que le trajet étant plus court, elles y trouveront moins d’obstacles & moins de détours, que le prodigieux concours de ces animaux produit inévitablement entr’eux pour parvenir à leur but. Ils en fatigueront d’autant moins qu’ils emploieront moins de tems à porter leur fardeau plus pesant en montant.

Je n’ai qu’une observation pour appuyer l’avantage des ruches courtes ou basses. Je vois depuis huit ans que la seule que j’ai de 2 piés de hauteur sur un calibre plus grand que celui des autres, a été constamment celle qui a porté le plus de miel. Nous devons deffendre nos ruches, non-seulement contre les vents, mais encore contre le froid. Elles le craignent si fort, qu’elles tombent dans une espece d’engourdissement proportionnel au degré de froid. J’avois cru, pour en mieux garantir les abeilles, devoir exposer mes ruches directement au midi. Je préparai pour leur postérité un local relativement à cette idée & à l’opinion générale[1]. Deux essaims y furent placés ; je suivis leur conduite ; je les voyois paresseux, tandis que les ruches voisines exposées au levant travailloient avec ardeur. Leur paresse augmenta si fort que deux mois après ou environ, elles furent désertées, y ayant vécu pendant ce tems-là sans commencer leurs gâteaux. J’avois cru cependant ce local plus favorable que celui des autres ruches. J’eus donc lieu d’être surpris. D’où venoit cette différence si contraire à mes vues ? non de l’exposition au midi, puisque l’expérience l’exige ; mais uniquement de ce que le soleil, comme je l’observai, n’éclairoit ces deux ruches que bien long tems après son lever. Les abeilles ne sortoient que tard par cette raison ; tandis que celles exposées au levant, quoique voisines, apportoient avec diligence chaque jour, depuis quelques heures, leur miel & leur cire. Celles-ci profitoient de la rosée ou des transpirations des plantes abondantes alors ; & les autres ne commençoient leur travail que quand l’ardeur du soleil avoit fait évaporer en grande partie cette humidité bienfaisante. Elles ne trouvoient presque plus alors des moyens d’extraire les sucs des plantes trop desséchées pour elles, & ne pouvant y pomper qu’avec peine, elles n’a-

massoient que pour vivre sur le courant, sans pouvoir

faire des provisions. Aussi je m’appercevois presque chaque jour diminuer l’affluence aux deux ruches. Enfin elles déguerpirent entierement. Je me confirmai dans le sentiment, que cette exposition étoit mauvaise par ce qui m’est arrivé pendant plusieurs années de suite. Deux ruches étoient exposées dans le même alignement de mes deux essaims. Des jeunes arbres naquirent & s’éleverent au derriere qui auparavant étoit net ; on négligea d’y remédier, les ruches ne recevoient que tard les rayons du soleil ; leur fécondité diminua, & il m’est arrivé qu’elles n’ont plus donné du miel jusqu’à ce qu’elles ont été rangées à la ligne des autres.

Il est d’autres attentions qu’il faut porter pour elles. On doit tenir bouchées exactement les ruches, aux petits passages près à laisser aux abeilles, pour entrer & sortir, afin de les préserver des ardeurs du soleil, des vents & du froid. Nos ruches n’y sont gueres propres, puisqu’elles ne sont que quatre ais de sapin verd & mince cloués entr’eux, qui se fendant aux premieres impressions de l’air, laissent à-travers les fentes les abeilles exposées aux intempéries du tems. On prend soin alors (on le doit prendre assidument) de les boucher, en les enduisant avec de la fiente de bœuf détrempée avec de l’eau. On s’en soulageroit, en se servant de ruches faites de troncs d’arbres creusés, desséchés & parfumés avec des aromates. On leur assureroit ainsi une demeure tranquille, à l’abri des tems fâcheux, & par surcroît de bonheur, une plus longue vie, que la destruction des ruches avec ces ais de sapin abrege trop souvent. C’est en vain qu’on se promettroit de remédier à cette perte en voulant contraindre ces pauvres vieux animaux à passer dans de nouvelles ruches. Car, soit attachement à leur ancienne maison, soit foiblesse de l’âge, elles ne peuvent s’accoutumer à changer & recommencer ailleurs leurs logemens ; elles périssent dans ces travaux, devenus plus onéreux par le dégoût. Je l’éprouvai sur deux ruches qui s’écrouloient. Je voulus contraindre leurs habitans à en prendre des nouvelles bien préparés. On eut assez de peine à les y faire passer ; on les plaça enfin au même endroit : mais bientôt elles périrent, quoique l’opération fut faite en même tems qu’on levoit le miel des autres, c’est-à-dire dans la belle saison, propre à les engager à élever leur édifice. On feroit bien, quand cette destruction des ruches est près, de les enfermer chacune toute entiere dans une plus grande, qui les conserveroit plus long tems & détermineroit peut-être les abeilles à s’attacher à la nouvelle, pour y recommencer leurs travaux quand la vieille crouleroit.

De la confection du miel. On l’amasse ordinairement dans le diocèse de Narbonne & dans le Roussillon une fois chaque année, & quelquefois deux quand l’année est favorable. La premiere récolte se fait vers le commencement du mois de Mai, & la seconde dans le mois de Septembre. Le miel du printems est toujôurs le plus beau, le plus blanc, & le meilleur. Celui de Septembre est toujours roux. Le degré de beauté & les autres qualités dépend de l’année. Un printems doux donnant beaucoup de fleurs & de rosées, est le plus favorable pour le rendre parfait.

Pour l’amasser, on ôte le couvercle de la ruche, arrêté sur les montans avec des cloux, de façon à l’ôter aisement, & recouvert d’une pierre plate, telle qu’elle puisse défendre la ruche contre la pluie. On tâche en même tems d’introduire de la fumée par-là en soufflant constamment sur des matieres alumées & propres à l’exciter. On contraint ainsi les

  1. On prépare le local pour les ruches, en y plaçant des pierres plates de niveau, plus grandes chacune que la base de la ruche, le ratissant quelques pouces à l’entour, afin qu’aucun obstacle n’empêche les abeilles d’y aborder librement en tout tems.