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avec le morceau de verre amolli au feu, ou à demi-fondu, qui devoit être appliqué sur ce moule, & recevoir l’empreinte du relief qui y avoit été formée. La chose devenoit d’autant moins aisée, que le verre ne differe des simples terres, qu’en ce que l’un est une matiere terreuse qui a été fondue au feu, & que l’autre est la même matiere terreuse qui n’a pas encore été fondue, mais qui se fond aisément, & qui s’unit avec le verre, si on les met l’une & l’autre ensemble dans un grand feu. Si donc on n’use pas de précautions dans le choix & l’emploi de la terre, le moule & le verre moulé se collent si étroitement dans le feu, qu’on ne peut plus les disjoindre ; & la figure qu’on avoit eu intention d’exprimer sur le verre, se trouve alors détruite.

Une matiere terreuse à laquelle on auroit fait perdre ses sels par art, soit en y procédant par le feu, soit en y employant l’eau, comme sont par exemple la chaux vive, & les cendres lessivées, seroit encore sujette aux mêmes inconvéniens ; car ces terres conservent en entier les locules qui étoient occupés par les sels qu’elles ont perdus ; & ces locules sont tous prêts à recevoir les mêmes matieres qui les remplissoient, quand elles se présenteront. Or comme le verre n’a été fondu ou vitrifié qu’au moyen d’une grande quantité de sel fondant que l’art y a joint, pour peu qu’on l’approche dans le feu d’une terre d’où l’on a emporté les sels, il s’insinuera promptement dans ses pores, & l’une & l’autre matiere ne feront qu’un seul corps.

Il n’en est pas ainsi des matieres terreuses qui naturellement ne contiennent rien ou très-peu de salin ; elles n’ont pas les pores figurés de maniere à recevoir facilement des sels étrangers, sur-tout quand ces sels sont déja enchâssés dans une autre matiere terreuse, comme est le verre, & qu’on ne les tient pas trop long-tems ensemble dans un grand feu ; car il est vrai qu’autrement la quantité de sel qui est dans le verre, serviroit immanquablement de fondant à cette derniere sorte de terre, & ils se fondroient & se vitrifieroient à la fin l’un par l’autre.

Persuadé de la vérité de ces principes, M. Homberg examina avec attention toutes les especes de terres ; & après en avoir fait l’analyse, il s’arrêta à une certaine sorte de craie qu’il trouva très-peu chargée de sel, & qui par cette raison lui parut plus propre qu’aucune autre matiere pour l’accomplissement de son dessein. Cette craie qu’on nomme communément du tripoli, sert à polir les glaces des miroirs, & la plûpart des pierres précieuses. On en connoît de deux especes : celle qui se tire de France est blanchâtre, mêlée de rouge & de jaune, & quelquefois tout-à-fait rouge ; elle est ordinairement feuilletée & tendre. Le tripoli du Levant, plus connu sous le nom de tripoli de Venise, est au contraire rarement feuilleté : sa couleur tire sur le jaune ; on n’en voit point de rouge, & il est quelquefois fort dur.

Qu’on se serve de l’un ou de l’autre, il faut choisir celui qui est tendre & doux au toucher comme du velours, & rejetter celui qui pourroit être mêlé d’autre terre, ou de grains de sable. Mais on doit sans difficulté donner la préférence au tripoli de Venise ; il est plus fin, & par conséquent, il moule plus parfaitement que le tripoli de France : outre cela le verre ne s’y attache jamais au feu, ce qui arrive quelquefois au nôtre. Cependant comme il est rare & cher à Paris, on peut pour épargner la dépense, employer à-la-fois dans la même opération, les deux sortes de tripoli, en observant ce qui suit.

Chacune des deux especes de craies exige une préparation particuliere : on pile le tripoli de France dans un grand mortier de fer ; on le passe par un tamis, & on le garde ainsi pulvérisé pour s’en servir, comme on le dira bien-tôt : au lieu que le tripoll de

Venise demande à être gratté légerement, & fort peu à-la-fois, avec un couteau ou avec des éclats de verre à vitre. Il ne suffit pas de l’avoir ensuite passé par un tamis de soie très-délié & très-fin, il faut encore le broyer dans un mortier de verre, avec un pilon de verre. Ce dernier tripoli étant particulierement destiné à recevoir les empreintes, plus il sera fin, mieux il les prendra.

Les deux tripoli ayant été ainsi réduits en poudre, on prend une certaine quantité de celui de France, qu’on humecte avec de l’eau, jusqu’à ce qu’il se forme en un petit gâteau, quand on en presse un peu avec les doigts ; à-peu-près comme il arrive à la mie de pain frais, lorsqu’on la pétrit de même entre les doigts. On remplit de ce tripoli humecté un petit creuset plat, de la profondeur de sept à huit lignes, & du diametre qui convient à la grandeur de la pierre qu’on a dessein de mouler. On presse légerement le tripoli dans le creuset, puis on met par-dessus une couche de tripoli de Venise en poudre seche assez épaisse pour pouvoir suffire au relief qui y doit être exprimé.

La pierre qu’on veut mouler étant posée sur cette premiere couche, de maniere que sa superficie gravée touche immédiatement la superficie du tripoli, on appuie dessus, en pressant fortement avec les deux pouces ; & l’on ne doit point douter que l’impression ne se fasse avec toute la netteté possible ; car elle se fait sur le tripoli de Venise, & ce tripoli a cela de propre, qu’il est naturellement doué d’une légere onctuosité, & que lorsqu’on le presse, ses petites parties qui, comme autant de petits grains, étoient divisées, se réunissent, & se tenant collées ensemble, forment une masse dont la superficie est aussi lisse que celle du corps le mieux poli. On applatit, ou bien l’on enleve avec le doigt, ou avec un couteau d’ivoire, l’excédent du tripoli qui déborde la pierre. En cet état, on laisse reposer le moule jusqu’à ce qu’on juge que l’humidité du tripoli de France a pénétré celui de Venise, qui comme on a vû, a été répandu en poudre seche, & qu’elle en a lié toutes les parties. Avec un peu d’habitude, on saura au juste le tems que cela demande. Il convient pour lors de séparer la pierre d’avec le tripoli ; pour cela on l’enleve un peu avec la pointe d’une aiguille enchâssée dans un petit manche de bois, & l’ayant ébranlée, on renverse le creuset ; la pierre tombe d’elle-même, & le sujet qui y est gravé reste imprimé dans le creuset. On réparera, s’il en est nécessaire, les bords du tripoli que la pierre auroit pû déchirer en les quittant, & on laissera sécher le creuset dans un lieu fermé, où l’on sera assuré que la poussiere n’entrera point, & ne pourra point gâter l’impression qu’on vient d’achever.

Il est sur-tout d’une grande importance, qu’il ne soit absolument resté aucune portion de tripoli dans le creux de la pierre qu’on a moulé, & que le dépouillement de cette pierre se soit fait dans tout son entier, quand elle s’est séparée du tripoli : autrement l’impression du verre se feroit imparfaitement ; tout ce qui seroit demeuré dans la pierre, formeroit autant de vuides dans la copie. Il faut donc y regarder de près ; & si l’on remarque quelque partie emportée, quelque déchirure, on recommencera une nouvelle empreinte sur le même tripoli, qui pourra servir, supposé qu’il soit encore moite.

Si le moule est en bon état, & lorsqu’on sera assuré que le tripoli dont le creuset est rempli est parfaitement sec, on prendra un morceau de verre de quelque couleur qu’on voudra, il n’importe ; mais il est pourtant à propos qu’il imite autant qu’il est possible, la couleur des agates, des jaspes, des cornalines, des améthystes, ou de quelques-unes des pierres fines qu’on choisit ordinairement pour graver. On le taillera de la grandeur convenable, on le posera sur le