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Aristolaüs, fils & éleve de Pausias, severissimis pictoribus fuit, fut un des peintres qui prononça le plus son dessein, & dont la couleur fut la plus fiere, ou plûtôt la plus austere ; car ce terme de severus, si souvent répété par Pline, paroît consacré à la Peinture, & paroit répondre pleinement à celui d’austere, que nous employons ce me semble, en cas pareil.

Asclépiodore, excellent peintre, & dont les tableaux étoient si recherchés, que Mnason tyran d’Elatée, homme vraiment curieux, lui paya trois cens mines, vingt-trois mille cinq cens livres, pour chaque figure de divinités qu’il avoit peintes au nombre de douze ; ce qui fait en tout, trois mille six cens mines, deux cens quatre-vingt-deux mille livres. Le même tyran donna encore à Théomneste autre artiste, cent mines, ou plus de sept mille huit cens livres, pour chaque figure de héros ; & s’il y en avoit aussi douze, c’étoit quatre-vingt-quatorze mille livres. Asclépiodore & Théomneste paroissent donc se rapporter au tems d’Aristide, & avoir été un peu plus anciens qu’Apelle. On peut placer vers le même tems Amphion, dont Apelle reconnoissoit la supériorité pour l’ordonnance, comme il reconnoissoit la supériorité d’Asclépiodore pour la justesse des proportions.

Athénion de Maronée, étoit éleve de Glaucion de Corinthe : voici, dit Pline, son caractere quant à la peinture : Austerior colore & in austeritate jucundior, ut in ipsâ picturâ eruditio eluceat. Fier, exact, & un peu sec dans sa couleur, cependant agréable à cause du savoir & de l’esprit qu’il mettoit dans ses compositions. Nos Peintres devroient bien profiter de cet exemple, pour ne pas négliger les belles-Lettres, dont la connoissance est si propre à rendre leurs travaux recommandables. Nous avons peu de peintres savans & instruits comme l’étoient les Grecs ; on peut nommer parmi les Italiens, Léonard de Vinci, le Ridotti, Baglione, Lomazzo, Armenini, Scaramucia, Vazari, & plusieurs autres ; mais les François n’en comptent que trois ou quatre, Dufresnoy, Antoine, & Charles Coypel.

Bularque, fleurissoit du tems de Candaule roi de Lydie, qui lui acheta au poids de l’or un tableau de la défaite des Magnetes ; or Candaule mourut dans la dix-huitieme olympiade, l’an 708 avant l’ere chrétienne. Ainsi Bularchus a vécu postérieurement à l’ere de Rome, & vers l’an 730 avant J. C. Pline, en disant que les peintres monochromes avoient précédé Bularque, fait clairement entendre que ce fut ce peintre qui le premier introduisit l’usage de plusieurs couleurs dans un seul ouvrage de peinture. C’est donc à-peu-près vers l’an 730 avant J. C. qu’on peut établir l’époque de la peinture polychrome, & vraissemblablement l’époque de la représentation des batailles dans des ouvrages de peinture. Ce fut aussi l’époque du clair obscur ; Pline assure qu’au moyen de la pluralité des couleurs qui se firent mutuellement valoir, l’art jusques-là trop uniforme se diversifia, & inventa les lumieres & les ombres ; mais puisqu’il ajoute que l’usage du coloris, le mélange, & la dégradation des couleurs, ne furent connus que dans la suite, il faut que le clair obscur de Bularchus ait été fort imparfait, comme il arrive dans les commencemens d’une découverte.

Caladès vécut à-peu-près dans la cent-sixieme olympiade, & peignit de petits sujets que l’on mettoit sur la scene dans les comédies, in comicis tabellis ; mais l’usage de ces tableaux nous est inconnu ; peut-être qu’à ce terme comicis, répond le titre κωμῳδοῦντες, donné par Elien, var. hist. 43. à des peintres, qui pour apprêter à rire, représenterent Timothée, général des Athéniens endormi dans sa tente, & par dessus sa tête la Fortune emportant des villes d’un coup de filet. Dans la pluralité de ces peintres, pour

un seul sujet de peinture, on découvre d’abord la catachrese d’un pluriel pour un singulier. C’étoit un seul peintre κωμῳδῶν, qui avoit ainsi donné la comédie aux dépens de Timothée, & le peintre borné à ces sortes de tableaux comiques, comicis tabellis, étoit Calades. M. de Caylus donne à l’expression de Pline une autre idée, mais qu’il ne propose que comme un doute. Il croit que les ouvrages de Caladès pouvoient être la représentation des principales actions des comédies que l’on devoit donner. C’est un usage que les Italiens pratiquent encore aujourd’hui ; car on voit sur la porte de leurs théatres, les endroits les plus intéressans de la piece qu’on doit jouer ce même jour ; & cette espece d’annonce représentée en petites figures coloriées sur des bandes de papier, est exposée des le matin. Le motif aujourd’hui est charlatan ; chez les anciens il avoit d’autres objets ; l’instruction du peuple, pour le mettre plus au fait de l’action, le desir de le prévenir favorablement ; enfin, l’envie de l’occuper quelques momens de plus par des peintures faites avec soin.

Calliclès peignit en petit, selon Pline, de même que Calades, parva & Callicles fecit. Ses tableaux, disoit Varron, n’avoient pas plus de quatre pouces de grandeur, & il ne put jamais parvenir à la sublimité d’Euphranor. Il fut donc postérieur à ce dernier ; ce qui détruit l’idée où étoit le pere Hardouin, que le peintre Calliclès a pu être le même que le sculpteur Calliclès, qui fit la statue de Diagoras, vainqueur aux jeux olympiques, en l’an 464 avant l’ere chrétienne.

Cimon cléonien ; il trouva la maniere de faire voir les figures en raccourci, & de varier les attitudes des têtes. Il fut aussi le premier qui représenta les jointures des membres, les veines du corps, & les différens plis des draperies. C’est ce qu’en dit Pline, liv. XXXV. ch. viij. entrons avec M. de Caylus, dans des détails de l’art que Cimon fit connoître.

La Peinture étoit bornée dans son premier âge à former une tête, un portrait ; on ne représentoit encore les têtes que dans un seul aspect, c’est-à-dire de profil. Cimon hasarda le premier d’en dessiner dans toutes sortes de sens contraires à celui-ci ; & il mit par ce moyen une grande variété dans la représentation des têtes. Celles qu’il dessinoit, regardoient tantôt le spectateur, c’est-à-dire, qu’elles se présentoient de face : quelquefois il leur faisoit tourner la vûe vers le ciel, & d’autres fois il les faisoit regarder en-bas. Il ne s’agissoit cependant encore que de positions, & non d’expressions & de sentimens. Le grand art de Cimon consistoit donc à avoir, pour ainsi dire, ouvert le premier la porte au raccourci ; ce premier pas étoit d’une grande importance, & il méritoit bien qu’on lui en fît honneur. Peut-être fit-il passer dans les attitudes de ses figures la même variété de position qu’il avoit imaginé d’introduire dans ces têtes, quoique Pline n’en dise rien, & qu’il faille en effet ne point trop donner aux Artistes dans ces premiers commencemens de la Peinture, où tout doit marcher pas à pas.

Quant aux autres progrès que Cimon avoit fait faire à la Peinture, ils n’étoient pas moins importans. Il entendit mieux que ceux qui l’avoient précédé, les attachemens sans quoi les figures paroissent un peu roides, & d’une seule piece ; défaut ordinaire des Artistes qui ont paru dans tous les tems. Lorsque la Peinture étoit encore dans son enfance, les mains & les bras, les piés & les jambes, les cuisses & les hanches, la tête & le col, &c. tout cela dans leurs ouvrages étoit, comme on dit, tout d’une venue, & les figures n’avoient aucun mouvement. Cimon avoit entrevu la nécessité de leur en prêter : il avoit commencé par donner à ses têtes des mouvemens diversifiés ; il étendit cet art aux autres parties