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nous transmettre les anciens usages, & d’une exactitude qui fait son mérite & sa gloire.

Panœnus fit encore des peintures à fresque à un temple de Minerve dans l’Elide, & Phidias son frere, ce sculpteur si célebre, avoit aussi exercé l’art de la Peinture ; il avoit peint dans Athènes, l’olympien, c’est-à-dire Péricles, olympium Periclem, dignum cognomine, pour me servir des termes de Pline. Hist. nat. liv. XXXIV. chap. viij.

Parrhasius, natif d’Ephese, fils & disciple d’Evenor, contemporain & rival de Zeuxis, fleurissoit dans les beaux jours de la Peinture, vers l’an du monde 3564, environ quatre cens ans avant Jesus-Christ. Ce fameux artiste réussissoit parfaitement dans le dessein, dans l’observation exacte des proportions, dans la noblesse des attitudes, l’expression des passions, le finissement & l’arrondissement des figures, la beauté & le moëlleux des contours ; en tout cela, dit Pline, il a surpassé ses prédécesseurs, & égalé tous ceux qui l’ont suivi.

Le tableau allégorique que cet homme célebre fit du peuple d’Athenes, brilloit de mille traits ingénieux, & montroit dans le peintre une richesse d’imagination inépuisable : car ne voulant rien oublier touchant le caractere de cette nation, il la représenta d’un côté bisarre, colere, injuste, inconstante ; & de l’autre humaine, docile, & sensible à la pitié, dans certain tems fiere, hardie, glorieuse, & d’autresfois basse, lâche, & timide ; voila un tableau d’après nature.

C’est dommage que Parrhasius ait deshonoré son pinceau, en représentant par délassement les objets les plus infâmes : ubique celeber, comme dit Pline d’Arellius, nisi stagitiis insignem corrupisset artem ; ce que fit en effet le peintre d’Ephese par sa peinture licencieuse d’Atalante avec Méléagre son époux, dont Tibere dona cent cinquante mille livres de notre monnoie, & plaça cette peinture dans son appartement favori.

C’est encore dommage que cet homme si célebre ait montré dans sa conduite trop d’orgueil & de présomption. On le blame peut-être à tort de sa magnificence sur toute sa personne. On peut aussi lui passer son bon mot dans sa dispute avec Timanthe ; il s’agissoit d’un prix en faveur du meilleur tableau, dont le sujet étoit Ajax outré de colere contre les Grecs, de ce qu’ils avoient accordé les armes d’Achille à Ulysse. Le prix fut adjugé à Timanthe. « Je lui cede volontiers la victoire, dit le peintre d’Ephèse, mais je suis fâché que le fils de Télamon ait reçu de nouveau le même outrage qu’il essuya jadis fort injustement ».

On voit par ce propos que Parrhasius étoit un homme de beaucoup d’esprit ; mais c’étoit sans doute un artiste du premier ordre, puisque Pline commence son éloge par ces mots remarquables, qui disent tant de choses : primus symmetriam picturæ dedit ; ces paroles signifient, que les airs de tête de ce peintre étoient piquans, qu’il ajustoit les cheveux avec autant de noblesse que de légereté ; que ses bouches étoient aimables, & que son trait étoit aussi coulant que ses contours étoient justes ; c’est le sublime de la peinture : hæc est in picturâ sublimitas ; hanc ei gloriam concessére Antigonus & Xenocrates, qui de picturâ scripsére. Dans son tableau de deux enfans, on trouvoit l’image même de la sécurité & de la simplicité de l’âge, securitas & simplicitas ætatis. Il faut que ces enfans aient été bien rendus, pour avoir inspiré des expressions qui peignoient à leur tour cette peinture. C’est dommage que dans un artiste de cette ordre, nemo insolentius & arogantius sit usus gloriâ artis. Il se donna le nom d’abrodictos, le délicat, le voluptueux, en se déclarant le prince d’un art qu’il avoit presque porté à sa perfection. En effet, on ne lit

point sans plaisir, cout ce que disent de ce grand maître Pline, Diodore de Sicile, Xénophon, Athénée, Elien, Quintilien, & parmi les modernes Carlo-Dati ; mais on n’est point fâché de voir l’orgueil de Parrhasius puni, quand il fut vaincu par Timanthe, dans le cas dont j’ai parlé ci-dessus ; cas d’autant plus important à sa gloire, que les juges établis pour le concours des arts dans la Grece, ne pouvoient être soupçonnés d’ignorance ou de partialité.

Pausias, natif de Sicyone, fils de Pritès & son éleve, fleurissoit vers la cj. olympiade. Il se distingua dans la pointure encaustique, & en décora le premier les voûtes & les lambris, pinxit & ille penicillo parietes Thespiis, dit Pline c. xj. C’étoit peut-être le temple des Muses que l’on voyoit à Thespies, au-bas de l’Hélicon. Polygnote avoit orné avant lui ce même lieu de ses ouvrages ; le tems les avoit apparemment dégradés ou effacés. On chargea Pausias de les refaire, & ces tableaux perdirent beaucoup à la comparaison, quoniam non suo genere certasset ; mais il décora le premier les murs intérieurs des appartemens avec un succès distingué ; c’est ce genre que Ludius fit ensuite connoître à Rome. Pausias y apportoit la plus grande facilité, car il peignit un tableau de ce genre en un jour ; il est vrai que ce tableau représentoit un enfant, dont les chairs mollettes, rondes, & pleines de lait, n’exigent qu’une forme générale sans aucun détail intérieur, sans aucune expression composée, enfin sans aucune étude de muscles & d’emmanchemens.

Quand l’occasion le demandoit, Pausias terminoit ses beaux ouvrages avec beaucoup de mouvement dans sa composition & d’effet dans la couleur. On admiroit de sa main, dans les portiques de Pompée, un tableau représentant un sacrifice de bœuf, parmi lesquels étoit un bœuf de front dont on voyoit toute la longueur : on y remarquoit sur-tout la hardiesse avec laquelle il les avoit peints absolument noirs : enfin les sacrifices de Pausias indiquoient, non-seulement l’art du racourci, mais une intelligence complette de la perspective.

Il devint dans sa jeunesse amoureux de Glycere ; cette belle vendeuse de fleurs le rendit excellent dans l’imitation de la plus légere & de la plus agréable production de la nature. Comme elle excelloit dans l’art de faire des couronnes des fleurs qu’elle vendoit, Pausias pour lui plaire imitoit avec le pinceau ces couronnes, & son art égaloit le fini & l’éclat de la nature. Ce fut alors qu’il représenta Glycere assise, composant une guirlande de fleurs, tableau dont Lucullus acheta la copie deux talens (neuf mille quatre cens livres) ; combien auroit-il payé l’original, qu’on nomma stéphanoplocos, la faiseuse de couronnes ? Horace n’a pas oublié cette circonstance.

Vel cum Pausiaca torpes ; insane, tabella
Qui peccas minus, atque ego cum, &c.

Le prix excessif que Lucullus mit au tableau de Pausias, ne doit pas néanmoins étonner ceux qui ont vû donner de nos jours des sommes pareilles pour les bouquets de fleurs peints par Van-Huysum, tandis que peut-être ils n’auroient pas donné le même prix d’un tableau de Raphaël. On pourroit comparer Baptiste, pour cette partie seulement, au célebre Pausias dans la belle imitation des fleurs, à laquelle il joignoit une grande facilité.

Cependant, le chef-d’œuvre de Pausias étoit une femme ivre peinte avec un tel esprit, que l’on appercevoit à-travers un vase qu’elle vuidoit, tous les traits de son visage enluminé, dit Pausanias, l. XXI. M. Scaurus transporta à Rome tous les tableaux du peintre de Sicyone ; il mérite doublement ce nom, car outre que c’étoit sa patrie, il y avoit fixé son