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veut être traité d’une maniere supérieure. Il requiert un choix élégant dans les fleurs & dans les fruits, l’art de les grouper & de les assortir, une touche légere, un coloris frais, brillant, & sur-tout une parfaite imitation de la belle nature. Entre les artistes qui se sont distingués dans l’art de peindre les fleurs & les fruits, on nomme Van-Huysum, Mignon, De Heem, Nuzzi, Monnoyer & Fontenay. J’ai parlé des trois premiers à l’article Ecole, je ne dirai ici qu’un mot des trois autres.

Mario Nuzzi, plus connu sous le nom de Mario di Fiori, né à Penna dans le royaume de Naples, mort à Rome en 1673, peignit les fleurs & les fruits avec cette vérité qui charme & séduit les sens ; aussi Smith en a-t-il gravé plusieurs pots d’après lui.

Monnoyer (Jean-Baptiste), né à Lille en 1635, mort à Londres en 1699, a peint des tableaux de fleurs qui sont précieux par la fraîcheur, l’éclat & la vérité qui y brillent.

Fontenay (Jean-Baptiste Blain de), né à Caen en 1654, mort en 1715, avoit un talent éminent à réprésenter des fleurs & des fruits, les groupper avec art, & varier l’esprit de sa composition. Les insectes paroissent vivre dans ses tableaux ; les fleurs n’y perdent rien de leur beauté, les fruits de leur fraîcheur. On croit voir découler la rosée des tiges, on est tenté d’y porter la main. (D. J.)

Peintre, marchand, s. m. (Communauté.) les maîtres peintres composent à Paris une communauté dont le commerce comprend tout ce qui se peut faire en Peinture & en Sculpture, soit doré, soit argenté, soit cuivré, en détrempe & à l’huile. Leurs ouvrages de dorure, s’ils sont ordinaires, sont dorés d’un or qu’on appelle or pale ; & si l’on veut qu’il soient propres, on y emploie de l’or jaune. Les ouvrages argentés s’argentent les uns en blanc, & les autres en jaune. Les ouvrages cuivrés sont ceux où l’on ne se sert que d’or faux, c’est-à-dire de cuivre battu en feuille & mis en œuvre comme l’or fin.

PEINTURE, s. f. (Hist. des beaux arts.) c’est un art qui, par des lignes & des couleurs, représente, sur une surface égale & unie, tous les objets visibles.

L’imagination s’est bien exercée pour trouver l’origine de la Peinture ; c’est là-dessus que les poëtes nous ont fait les contes les plus agréables. Si vous les en croyez, ce fut une bergere qui la premiere, pour conserver le portrait de son amant, conduisit avec sa houlette une ligne sur l’ombre que le visage du jeune-homme faisoit sur un mur. La Peinture, disent-ils,

La brillante Peinture est fille de l’Amour :
C’est lui qui le premier inspirant une amante,
Aux rayons de Phébus, guidant sa main tremblante,
Crayonna sur un mur l’ombre de son amant.
Des diverses couleurs de riche assortiment,
L’art d’animer la toile & de tromper l’absence,
Ainsi que à autres arts lui doivent la naissance.

Ce sont là des apologues inventés pour l’explication de cette vérité, que les objets, mis sous les yeux de l’homme, semblent l’inviter à l’imitation ; & la nature elle-même, qui, par le moyen des jours & des ombres, peint toutes choses soit dans les eaux, soit sur les corps dont la surface est polie, apprit aux hommes à satisfaire leurs goûts par imitation.

Quoi qu’il en soit, on doit placer la Peinture parmi les choses purement agréables, puisque cet art n’ayant aucun rapport avec ce qu’on appelle précisement les nécessités de la vie, est tout entier pour le plaisir des yeux & de l’esprit. La Poésie, fille du plaisir, n’a semblablement pour but que les plaisirs même. Si, dans la suite des tems, la vertu, pour faire sur les hommes une impression plus vive, a emprunté les charmes de l’un & de l’autre, ainsi que la Junon d’Homere emprunta la ceinture de Vénus pour paroître

plus aimable aux yeux de Jupiter ; si la vertu a entrepris d’ennoblir par-là, & de relever le mérite de la Poésie & de la Peinture, c’est un bienfait que ces deux arts tiennent d’elle, & qui dans le fond leur est absolument étranger ; ce n’est point le besoin qui leur a donné naissance, elles ne lui doivent point leur origine.

Ce sont deux sœurs dont les intentions sont les mêmes : les moyens qu’elles emploient pour parvenir à leurs fins, sont semblables, & ne different que par l’objet : si l’une par les yeux se fait un chemin pour aller toucher l’esprit, l’autre peint immédiatement à l’esprit ; mais la Peinture saisit l’ame par le secours des sens ; & c’est peut-être dans le fond le plus sûr moyen de l’attacher. Elle trompe nos yeux par cette magie qui nous fait jouir de la présence des objets trop éloignés, ou qui ne sont plus. Son attrait frappe & attire tout le monde, les ignorans, les connoisseurs & les artistes mêmes. Elle ne permet à personne de passer indifféremment par un lieu où sera quelque excellent tableau, sans être comme surpris, sans s’arrêter, & sans jouir quelque-tems du plaisir de la surprise. La Peinture nous affecte par le beau choix, par la variété, par la nouveauté des choses qu’elle nous présente ; par l’histoire & par la fable, dont elle nous rafraîchit la mémoire ; par les inventions ingénieuses, & par ces allégories dont nous nous faisons un plaisir de trouver le sens, & de critiquer l’obscurité.

C’est un des avantages de la Peinture, que les hommes pour être de grands peintres, n’ont guere besoin pour se produire du bon plaisir de la fortune. Cette reine du monde ne peut que rarement les priver des secours nécessaires pour manifester leurs talens. Tout devient palettes & pinceaux entre les mains d’un jeune-homme doué du génie de la Peinture. Il se fait connoitre aux autres pour ce qu’il est, quand lui-même ne le sait pas encore. Ajoutez que l’art de la Peinture n’est pas moins propre à attirer autant de considération à ceux qui y excellent, qu’aucun des autres arts qui sont faits pour flatter les sens.

Il y a dans la Peinture des avantages que les objets mêmes qu’elle imite sont bien éloignés de procurer. Des monstres & des hommes morts ou mourans, que nous n’oserions regarder, ou que nous ne verrions qu’avec horreur, nous les voyons avec plaisir imités dans les ouvrages des peintres ; mieux ils sont imités, plus nous les regardons avidement. Le massacre des Innocens a dû laisser des idées bien funestes dans l’imagination de ceux qui virent réellement les soldats effrénés égorger les enfans dans le sein des meres sanglantes. Le tableau de le Brun où nous voyons l’imitation de cet événement tragique, nous émeut & nous attendrit, mais il ne laisse dans notre esprit aucune idée importune de quelque durée. Nous savons que le peintre ne nous afflige qu’autant que nous le voulons, & que notre douleur, qui n’est que superficielle, disparoîtra presque avec le tableau : au lieu que nous ne serions pas maîtres ni de la vivacité, ni de la durée de nos sentimens, si nous avions été frappés par les objets mêmes. C’est en vertu du pouvoir qu’il tient de la nature, que l’objet réel agit sur nous. Voilà d’où procéde le plaisir que la Peinture fait à tous les hommes. Voilà pourquoi nous regardons avec contentement des peintures, dont le mérite consiste à mettre sous nos yeux des avantures si funestes, qu’elles nous auroient fait horreur si nous les avions vues véritablement.

Ceux qui ont gouverné les peuples dans tous les tems ont toujours fait usage des peintures & des statues, pour leur mieux inspirer les sentimens qu’ils vouloient leur donner, soit en religion, soit en politique. Quintilien a vu quelquefois les accusateurs aire exposer dans le tribunal un tableau où le crime dont ils poursuivoient la vengeance étoit représenté,