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tatus. Nec postea ablui potest ; ita cortina non dubiè confusura colores, si pictos acciperet, digerit ex uno, pingitque dum coquit. Et adustæ vestes firmiores fiunt, quam si non urerentur. Voici la traduction :

« Dans le nombre des arts merveilleux que l’on pratique en Egypte, on peint des toiles blanches qui servent à faire des habits, non en les couvrant avec des couleurs, mais en appliquant des mordans qui, lorsqu’ils sont appliqués, ne paroissent point sur l’étoffe ; mais ces toiles plongées dans une chaudiere de teinture bouillante, sont retirées un instant après coloriées. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que quoiqu’il n’y ait qu’une couleur, l’étoffe en reçoit de différentes, selon la qualité des mordans, & les couleurs ne peuvent ensuite être emportées par le lavage. Ainsi une liqueur qui n’étoit propre qu’à confondre les couleurs, si la toile eût été peinte avant que d’être plongée, les fait naitre toutes d’une seule ; elle se distribue, elle peint la toile en la cuisant, pour ainsi dire. Et les, ou leurs de ces étoffes teinres à chaud sont plus solides que si elles étoient teintes à froid ».

Cette pratique pour exécuter la teinture des toiles est en usage dans l’Europe & en Orient. Il est à présumer que l’Inde a tire originairement ce secret de l’Egypte, qui après avoir été le centre des arts & des sciences, la ressource de l’Asie, & de l’Europe par la fertilité de son terroir, le climat le plus heureux par la salubrité de l’air, un monde par la multitude des naturels du pays & par l’affluence des étrangers, n’est plus aujourd’hui qu’une terre empestée & une retraite de brigands, pour avoir perdu de vue les arts & les sciences qui faisoient son bonheur & sa gloire ; exemple palpable qui suffiroit seul pour confondre un odieux paradoxe avancé de nos jours, s’il méritoit d’être sérieusement refuté. La Chine connoît aussi la pratique de teindre les toiles, où nous l’avons trouvée établie dans le tems de sa découverte. Plus on approfondit les arts, du moins quant à la peinture, & plus on observe que les anciens n’ignoroient presque rien de ce que nous savons & de ce que nous pratiquons. Mémoire des Insc. tom. XXV. (D. J.)

Peinture sur verre, (Peint. mod.) cette peinture est toute moderne, & les François prétendent que ce fut d’un peintre de Marscille, qui travailloit à Rome sous Jules II. que les Italiens l’apprirent. On en faisoit autrefois beaucoup d’usage dans les vitraux des églises & des palais ; mais cette peinture est aujourd’hui tellement négligée, qu’on trouve très peu de peintres qui en ayent connoissance. Elle consiste dans une couleur transparente, qu’on applique sur le verre blanc ; car elle doit faire seulement son effet, quand le verre est exposé au jour. Il faut que les couleurs qu’on y employe soient de nature à se fondre sur le verre qu’on met au feu quand il est peint ; & c’est un art de connoître l’effet que ces couleurs feront quand elles seront fondues, puisqu’il y en a que le feu fait changer considérablement.

Lorsque cette peinture étoit en regne, on fabriquoit dans les fourneaux des verres de différentes couleurs, dont on composoit des draperies, & qu’on tailloit suivant leurs contours, pour les mettre en œuvre avec le plomb. Le principal corps de presque toutes ces couleurs, est un verre assez tendre, qu’on appelle rocaille, qui se fait avec du sablon blanc, calciné plusieurs fois, & jetté dans l’eau, auquel on mêle ensuite du salpêtre pour servir de fondant.

On a aussi trouvé le secret de peindre à l’huile sur le verre, avec des couleurs transparentes, comme sont la laque, l’émail, le verd-de-gris, & des huiles ou vernis colorés, qu’on couche uniment pour servir de fonds ; quand elles sont seches, on y met des ombres, & pour les clairs, on peut les emporter par

hachures avec une plume taillée exprès. Ces couleurs à huile sur le verre, se conservent long-tems, pourvû que le côté du verre où est appliquée la couleur, ne soit pas exposé au soleil. (D. J.)

Peinture, (Architect.) cet art contribue dans les bâtimens, 1°. à la légéreté, en les faisant paroître plus exhaussés & plus vastes par la perspective ; 2°. à la décoration par la variété des objets agréables répandus à propos, & par le racordement du faux avec le vrai ; 3°. enfin à la richesse, par l’imitation des marbres, des métaux, & autres matieres précieuses.

La Peinture se distribue en grands sujets allégoriques pour les voutes, plafonds, & tableaux ; ou en petits sujets, comme ornemens grotesques, fleurs, fruits, &c. qui conviennent aux compartimens & panneaux des lambris.

On pratique dans les bâtimens trois sortes de peinture ; la peinture à fresque, la mosaïque, & la peinture à l’huile. La premiere, qui est la plus ancienne, & la moins finie, sert pour les dedans des lieux spacieux, tels que sont les églises, basiliques, galeries, & même pour les dehors sur les enduits préparés pour la retenir. Cette peinture est particulierement propre pour décorer des murs de jardins par des vues, des perspectives, &c. La mosaïque, quoiqu’elle soit moins en usage qu’aucune sorte de peinture, est cependant la plus durable ; la peinture à l’huile convient au bois & à la toile, pour enrichir toutes sortes d’appartemens. (D. J.)

Peinture double, (Poésie, Art orat.) on appelle double peinture, celle qui consiste à présenter deux images opposées, qui jointes ensemble, se relevent mutuellement ; c’est ainsi que Virgile fait dire à Enée, lorsqu’il voit Hector en songe : « Ce n’étoit point cet Hector vainqueur de Patrocle, & chargé des dépouilles d’Achille, où la flamme à la main embrassant la flotte des Grecs : sa barbe & ses cheveux étoient souillés de sang, & son corps portoit encore les marques de toutes les blessures qu’il reçut sous les murs de Troie ».

Hei mihi, qualis erat ! quantum mutatus ab illo
Hectore qui redit exuvias indutus Achillis,
Vel Danaûm Phrygios jaculatus puppibus ignes !
Squallentem barbam, & concretos sanguine crines,
Vulneraque ille gerens, quæ circum plurima muros
Accepit patrios. Ænéid. l. II. v. 274.

Annibal Caro, dans sa traduction italienne de l’Enéide, a rendu cet endroit bien noblement.

Lasso me ! quale & quanto era mutato
Da quell’Ettor, che ritorno vestito
Dele spoglie d’Achille, è rilucente
Del foco, ond’arse, il grand navile argolico !
Squallida havea la barba, horredo il crine,
E rappreso di sangue : il petto lacero
Di quante unqua ferite al patrio muro
Hebbe d’intorno.

C’est encore en usant d’une double peinture, que Corneille dans le récit du songe de Pauline, lui fait dire en parlant de Sévere. Acte I. scene 2.

Il n’étoit point couvert de ces tristes Lambeaux
Qu’une ombre désolée emporte des tombeaux ;
Il n’étoit point percé de ces coups pleins de gloire,
Qui retranchant sa vie, assure sa mémoire ;
Il sembloit triomphant, & tel que sur son char
Victorieux dans Rome, entre notre César, &c.

Concluons que la double peinture est d’un merveilleux effet pour le pathétique ; mais comme cette adresse est une des plus grandes du poëte & de l’orateur, il faut la savoir ménager, l’employer sobrement, & à propos. (D. J.)