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prend lui-même la maniere dont il composoit ses écrits. Après avoir lu, dit-il, d’autres auteurs, je fais venir mon copiste, & je lui dicte tantôt mes pensées, tantôt celles d’autrui, sans me souvenir ni de l’ordre, ni quelquefois des paroles, ni même du sens...... Itaque, ut simpliciter fatear, legi hæc omnia, & in mente mea plurima coacervans, accito notario, vel mea, vel aliena dictavi ; nec ordinis, nec verborum interdùm, nec sensuum memoriam retentans. Comment. in epist. ad Galat. tom. IX. pag. 158. D........ D’abord que mon copiste est arrivé, dit-il dans sa préface sur la même épître, je lui dicte tout ce qui me vient dans la bouche ; car si je veux un peu rêver pour dire quelque chose de meilleur, il me critique en lui-même, retire sa main, fronce le sourcil, & témoigne par toute sa contenance qu’il n’a que faire auprès de moi...... Accito notario, aut statim dicto quidquid in buccam venerit, aut si paululum voluero cogitare, melius aliquid prolaturus, tunc me tacitus ille reprehendie, manum contrahit, frontem rugat, & se frustra adesse, toto gestu corporis, contestatur. Præfat. in lib. III. comm. in Gal. tom. VI. pag. 189.

Plein d’un trop grand amour pour la vie solitaire, la sainteté de cette vie, celle de la virginité & du célibat, il parle en plusieurs endroits trop désavantageusement des secondes noces. Il fut pendant long-tems admirateur & disciple déclaré d’Origene ; ensuite il abjura l’origénisme, en quoi il mérite d’être loué ; mais il seroit à souhaiter qu’il eût montré moins de violence contre les Origénistes, en ne suggérant pas aux empereurs les lois pour leurs proscriptions, comme il reconnoît lui-même : il pouvoit renoncer à l’erreur, sans maltraiter les errans. Pour quelle foiblesse aura-t-on de la condescendance, si l’on n’en a pas pour celles qu’on a soi-même éprouvées ? Son naturel vif & impétueux, & la lecture des auteurs profanes satyriques, dont il emprunta le style, ne le laisserent pas le maître de ses expressions piquantes contre ses adversaires, & en particulier contre Vigilance, prêtre de Barcelone, auquel il avoit donné lui-même le titre de saint, dans une lettre à Paulin.

Enfin, dit le fameux évêque d’Avranches, il seroit à souhaiter que ce saint docteur eût eu plus d’égalité d’ame & de modération ; qu’il ne se fût pas laissé emporter si aisément à sa bile, ni s’abandonner à des opinions contraires, selon les circonstances des affaires & des tems : enfin qu’il n’eût pas chargé quelquefois d’injures les plus grands hommes de son siecle ; car il faut avouer que Rufin l’a souvent repris avec raison, & qu’il a lui-même souvent accusé Rufin sans le moindre fondement. Oregeniana, p. 205 & 206.

Augustin (Saint), naquit à Tagasie dans l’Afrique, le 13 Novembre 354. Son pere nommé Patrice, n’étoit qu’un petit bourgeois de Tagaste. Sa mere s’appelloit Monique, & étoit remplie de vertu. Leur fils n’avoit nulle inclination pour l’étude. Il fallut néanmoins qu’il étudiât ; son pere voulant l’avancer par cette voie, l’envoya faire ses humanités à Madeure, & sa rhétorique à Carthage, vers la fin de l’an 371. Il y fit des progrès rapides, & il l’enseigna en 380. Ce fut alors qu’il prit une concubine, dont il eut un fils qu’il appella Adeodat, Dieu-donné, prodige d’esprit, à ce que dit le pere, & mort a 16 ans. S. Augustin embrassa le Manichéisme à Carthage, où sa mere alla le trouver pour tâcher de le tirer de cette hérésie, & de sa vie libertine.

Il vint à Rome, ensuite à Milan pour y voir S. Ambroise qui le convertit l’an 384, & le baptisa l’an 387. fut ordonné prêtre l’an 391, & rendit des services très-importans à l’Eglise par sa plume. Il mourut à Hippone durant le siege de cette ville par les Vandales, le 28 Août 430, âgé de 76 ans.

On trouvera le détail de sa vie épiscopale & de ses écrits, dans la bibliotheque de M. Dupin, dans les

acta eruditorum, 1683, & dans Moreri. La meilleure édition des œuvres de ce pere, est celle qui a paru à Paris par les soins des bénédictins de S. Maur ; elle est divisée en 10 vol. in-fol. comme quelques autres ; mais avec un nouvel arrangement, ou une nouvelle économie dans chaque tome. Le I. & le II. furent imprimés l’an 1679 ; le III. parut en 1680 ; le IV. en 1681 ; le V. en 1683 ; le VI. & VII. en 1685 ; le VIII. & le IX. en 1685 ; & le X. en 1690 : ce dernier volume contient les ouvrages que S. Augustin composa contre les Pélagiens. Son livre de la cité de Dieu, est celui qu’on estime le plus.

Mais l’approbation que les conciles & les papes ont donné à S. Augustin sur sa doctrine, a fait le plus grand bien à sa gloire. Peut-être que sans cela les Molinistes du dernier siecle auroient mis à néant son autorité. Aujourd’hui toute l’église romaine est dans l’engagement de respecter le systeme de ce pere sur ce point ; cependant bien des gens pensent que sa doctrine, & celle de Jansénius évêque d’Ypres, sont une seule & même chose. Ils ajoutent que le concile de Trente en condamnant les idées de Calvin sur le franc arbitre, a nécessairement condamné celles de S. Augustin ; car il n’y a point de calvinistes, continue-t-on, qui aient nié le concours de la volonté humaine, & la liberté de notre ame, dans le sens que S. Augustin a donné aux mois de concours & de liberté. Il n’y a point de calvinistes qui ne reconnoissent le franc-arbitre, & son usage dans la conversion, en prenant ce mot selon les idées de l’évêque d’Hippone. Ceux que le concile de Trente a condamnés, ne rejettent le franc-arbitre qu’en tant qu’il signifie la liberté d’indifférence ; les Thomistes le rejettent aussi, & ne laissent pas de passer pour très-catholiques. En un mot, la prédétermination physique des thomistes, la nécessité de S. Augustin, celle des jansénistes, celle de Calvin, sont au fond la même chose ; néanmoins les Thomistes renoncent les Jansénistes, & les uns & les autres prétendent qu’on les calomnie, quand on les accuse d’enseigner la doctrine de Calvin.

Les Arminiens n’ayant pas les mêmes ménagemens à garder, ont abandonné saint Augustin à leurs adversaires, en le reconnoissant pour un aussi grand prédestinateur que Calvin lui-même ; & bien des gens croient que les Jésuites en auroient fait autant, s’ils avoient osé condamner un docteur de l’Eglise, que les papes & les conciles ont tant approuvé.

Un savant critique françois loue principalement saint Augustin d’avoir reconnu son insuffisance pour interpréter l’Ecriture. Ce pere de l’Eglise d’occident a très-bien remarqué, dit M. Simon, les qualités nécessaires pour cette besogne ; & comme il étoit modeste, il a avoué ingénuement que la plupart de ces qualités lai manquoient, & que même l’entreprise de répondre aux Manichéens étoit au-dessus de ses forces. Aussi n’est-il pas ordinairement heureux dans ses allégories, ni dans le sens littéral de l’Ecriture. Il convient encore lui-même s’être extrèmement pressé dans l’explication de la Genèse, & de lui avoir donné le sens allégorique quand il ne trouvoit pas d’abord le sens littéral. Quand donc l’Eglise nous assure que ceux qui ont enseigné la Théologie, ont pris ce pere de l’Eglise d’Occident pour leur guide ; ces paroles du breviaire romain ne signifient pas que les opinions de l’évêque d’Hippone soient toujours des articles de foi, & qu’il faille abandonner les autres peres lorsqu’ils ne s’accordent pas avec lui.

Le plus fâcheux est que les Scholastiques aient emprunté de saint Augustin la morale & la maniere de la traiter ; car en établissant des principes, il a étalé plus d’art que de savoir & de justesse. Emporté par la chaleur de la dispute, il passe ordinairement d’une extrémité à l’autre. Quand il fait la guerre aux Ariens, on le croiroit sabellien : s’agit-il de réfuter les Sabel-