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alors du nombre des Celtes, & Auguste les mit sous l’Aquitaine. Cette province ayant été divisée en deux sous Valentinien I. les Petricorii furent attribués à la seconde, & eurent pour métropole Bourdeaux ; leur capitale s’appelloit Vesuna, comme nous l’apprenons de Ptolomée : mais dans le quatrieme siecle, la ville quitta entierement ce nom pour prendre celui du peuple Petricorii, d’où on fit Petricordium & Petricorium, aujourd’hui Périgueux.

Le Périgord vint au pouvoir des Goths dans le commencement du v. siecle ; dans le suivant il fut pris sur eux par les François. Les rois de Neustrie Mérovingiens l’ont possédée jusqu’au tems du duc Eudes, qui se rendit absolu dans l’Aquitaine, & ce fut Pepin, pere de Charlemagne, qui conquit le Périgord sur Gaïfre, petit-fils d’Eudes. Les Carlovingiens, qui ont regné dans la France occidentale, ont eu jusqu’au dixieme siecle le même pays, qu’ils gouvernoient par des comtes, qui n’étoient que de simples officiers.

Dans la suite des tems, Charles, duc d’Orléans comte de Périgord, ayant été fait prisonnier par les Anglois, vendit, l’an 1437, son comté de Périgord à Jean de Blois, comte de Penthievre, qui le laissa à son fils Guillaume. Celui-ci n’eut qu’une fille, nommée Françoise, qui épousa Alain, sire d’Albret, bisayeul de Jeanne d’Albret, reine de Navarre. Jeanne apporta tous ses états en mariage à Antoine de Bourbon, pere d’Henri IV. qui ayant succédé au royaume de France après la mort d’Henri III. unit à la couronne le Périgord, avec ses autres biens patrimoniaux.

Le Périgord a environ trente-trois lieues de long sur vingt-quatre de large. On le divise en haut & bas Périgord, ou bien en blanc & en noir. Périgueux est la capitale de tout le Périgord. Sarlat est la principale ville du bas Périgord, nommé Périgord noir, parce qu’il est plus couvert de bois.

Les rivieres de cette province sont la Dordogne, la Vezere, l’Isle, & la haute Vezere : ces trois dernieres ne sont navigables que par le secours des écluses. L’air du pays est pur & sec. Il abonde en mines d’excellent fer, & ses montagnes sont couvertes de noyers & de châtaigniers. Il s’y trouve aussi quelques sources d’eaux médicinales.

Mais le Périgord doit à jamais se glorifier d’avoir donné le jour à M. de Fenelon, archevêque de Cambrai. On a de lui cinquante-cinq ouvrages différens ; tous partent d’un cœur plein de vertu, mais son Télémaque l’inspire. On apprend, en le lisant, à s’y attacher, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, à aimer son pere & sa patrie, à être roi, citoyen, ami, esclave même si le sort le veut. Trop heureuse la nation pour qui cet ouvrage pourroit former un jour un Télémaque & un Mentor.

« Il a substitué dans ce poëme une prose cadencée à la versification, & a tiré de ses fictions ingénieuses, une morale utile au genre humain. Plein de la lecture des anciens, & né avec une imagination vive & tendre, il s’étoit fait un style qui n’étoit qu’à lui, & qui couloit de source avec abondance.

» Les éditions du Télémaque furent innombrables. Il y en a plus de trente en anglois, & plus de dix en hollandois. C’est en vain qu’en examinant ce poëme à toute rigueur, on a cru y reprendre des descriptions trop uniformes de la vie champêtre, il est toujours vrai que cet ouvrage est un des plus beaux monumens d’un siecle florissant. Il valut à son auteur la vénération de toute l’Europe, & lui vaudra celle des siecles à venir.

» Les Anglois sur-tout, qui firent la guerre dans son diocèse, s’empresserent à lui témoigner leur respect. Le duc de Malborough prenoit autant soin qu’on épargnât ses terres, qu’il en eût pris pour

celles de son château de Blenhein : enfin M. de Fenelon fut toujours cher au duc de Bourgogne qu’il avoit élevé ». Voici son épitaphe, qui n’est pas un éloge ; mais un portrait.

Omnes dicendi lepores virtuti sacravit ac veritati ; & dùm sapientiam spirat, semetipsum inscius retexit. Bono patriæ unice intentus, regios principes ad utilitatem publicam instituit. In utrâque fortunâ sibi constans ; in prosperâ aulæ favores ut dum prensaret, adeptos etiam abdicavit ; in adversâ Deo magis adhæsit. Gregem sibi creditum, assiduâ fovit præsentiâ, verbo nutrivit, exemplo erudivit, opibus sublevavit. Exteris perindè carus ac suis, hos & illos ingenii famâ, & comitate morum, sibi devinxit. Vitam laboribus exercitam, claram virtutibus, meliore vitâ commutavit, septimo Januarii, anno M. DCCXV. ætatis, LXIV.

Montagne (Michel de), né en Périgord en 1533, a trop de partisans pour que j’oublie de parler de lui à l’article de son pays. Il a vécu sous les regnes de François I. Henri II. François II. Charles IX. Henri III. & Henri IV. étant mort en 1592, âgé de 59 ans.

Il se montra, dans le cours de sa vie, bon citoyen, bon fils, bon ami, bon voisin, enfin un galant homme. Ce n’en est pas une petite marque, que d’avoir pu se vanter au milieu de la licence des guerres civiles, de ne s’y être point mêlé, & de n’avoir mis la main, ni aux biens, ni à la bourse de personne Il assure de plus, qu’il a souvent souffert des injustices évidentes, plutôt que de se résoudre à plaider ; ensorte que sur ses vieux jours il étoit encore, dit-il, vierge de procès & de querelles.

Sa morale étoit stoïcienne en théorie, & ses mœurs épicuriennes ; c’est un point sur lequel il dit lui-même, qu’il a le cœur assez ouvert pour publier hardiment sa foiblesse. Il avoue encore qu’il ressembleroit volontiers à un certain romain que peint Cicéron, en disant que « c’étoit un homme abondant en toutes sortes de commodités & de plaisirs, conduisant une vie tranquille & toute sienne, l’ame bien préparée contre la mort, la superstition, &c. » Voilà en effet le portrait de Montagne, & qui même auroit peut-être été plus ressemblant, s’il avoit osé traduire à la lettre celui qu’a fait Ciceron de ce romain : mais ce que Montagne n’a pas jugé à propos de faire d’un seul coup de pinceau, il seroit aisé de le retrouver en détail, si l’on prenoit la peine de rassembler tous les traits où il s’est peint en différens endroits de ses Essais.

On ne peut nier que cet ouvrage ne soit rempli d’esprit, de grace & de naturel. Il est d’autant plus aisé d’en être séduit, que son style tout gascon & tout antique qu’il est, a une certaine énergie qui plaît infiniment. Il écrit d’ailleurs d’une maniere qu’il semble qu’il parle à tout le monde avec cette aimable liberté, dont on s’entretient avec ses amis. Ses écarts même, par leur ressemblance avec le desordre ordinaire des conversations familieres & enjouées, ont je ne sais quel charme, dont on a peine à se défendre.

C’est dommage qu’il respecte assez peu ses lecteurs pour entrer dans des détails puériles & frivoles de ses goûts, de ses actions, & de ses pensées. « Que nous importe de savoir, disoit avec raison Scaliger, si Montagne aimoit mieux le vin blanc que le clairet » ? Mais on trouve dans son ouvrage des choses bien plus choquantes, comme quand il nous parle du soin qu’il prenoit de se tenir le ventre libre, & d’avoir particuliere commodité de lieu & de siége pour ce service.

Je lui pardonne encore moins les obscénités grossieres dont son livre est parsemé, & dont la plûpart ne sont propres qu’à faire rougir les personnes les plus effrontées ; cependant malgré tous ces défauts, ses écrits ont des graces singulieres ; & il faut bien