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tent 3, 4 lignes & plus d’épaisseur, si ceux des ligatures étoient de même, il arriveroit que 80 ligatures portant une largeur extraordinaire, il ne seroit pas possible qu’elles pussent se tirer avec la même égalité, c’est pour cela que les lisserons des ligatures ne doivent porter qu’une ligne d’épaisseur, conséquemment 80 lisserons ne portent pas plus de 6 pouces & 8 lignes, & pour les resserrer davantage, l’ouvrier a soin de faire faire les lisses de façon, que quoique toutes les boucles soient à même hauteur de la soie, néanmoins il se trouve une lisse qui est élevée de 4 pouces plus que l’autre, ce qui est alternatif ; & au moyen de cette précaution, les 80 lisses ne portent gueres plus larges que 40. La façon de disposer ainsi ces ligatures est très-simple, par la précaution que la faiseuse de lisses prend de les faire toutes ensemble 4 pouces plus longues d’un côté que d’un autre, depuis la boucle ; au moyen de cette préparation, lorsqu’étant sur le lisseron on les attache, on met la premiere lisse, de façon que la partie la plus longue se trouve en haut ; à la seconde, la partie la plus longue en bas ; ainsi des autres jusqu’à ce qu’elles soient toutes attachées.

Chaque lisse doit être attachée à une corde de rame : ainsi le dessein portant 40 cordes pour chaque chaîne, il faut quatre-vingt cordes de rame pour les deux.

La façon de passer les fils dans les ligatures est différente de celle qui se pratique dans les autres métiers ; si le dessein est à pointe, c’est-à-dire, que si le côté ne contient que la moitié d’une fleur, d’un fruit, &c. & qu’il doive être entier sur l’étoffe, on commence à passer quatre fils de la premiere chaîne à la premiere ligature du côté de l’ensuple de derriere, & on continue par la seconde, & celles qui suivent jusqu’à la quarantieme du côté du battant, après quoi, au lieu de recommencer par la premiere du côté de l’ensuple, vous prenez la seconde du côté du battant, & allez en reculant lisse par lisse, jusqu’à la même lisse, par laquelle vous avez commencé, qui est la premiere du côté de l’ensuple, & continuez de même jusqu’à ce que la chaîne soit passée en entier, de façon que le remettage forme une espece de N\N.

Seconde façon de passer les fils. il faut observer encore que, pour que les fils ne soient ni gênés, ni contrariés, quand on a passé un fil d’une chaîne sur une ligature, il faut que le fil de la seconde chaîne suive sur l’autre, afin que rien ne soit embrouillé, & qu’il se trouve un accord parfait, & que toutes les ligatures soient passées à-la-fois, c’est-à-dire ensemble, cette derniere façon de passer les fils, quoique plus embarrassante, fait néanmoins que l’étoffe se travaille plus aisément. Au surplus on peut choisir.

Si le dessein est à chemin, c’est-à-dire, qu’il ne répéte pas sur les côtés, pour lors on passe les fils à l’ordinaire, en commençant par la premiere ligature du côté de l’ensuple, & finissant par la derniere du côté du battant, & reprendre ensuite la premiere sans reculer au remettage.

Le dessein à pointe par la façon du remettage porte dans la fabrication le double dans la largeur de l’étoffe ; & s’il est de même dans la hauteur en revenant sur ses pas lorsqu’on tire le bouton, c’est à-dire, en reculant par le même chemin qu’on a fait en commençant, on fait également le double dans la hauteur de l’étoffe.

Si chaque chaîne est passée sur quarante lignes, & que les fils ne soient pas lardés dans les remettages (c’est le terme), c’est-à-dire, que les deux chaînes ne soient pas passées ensemble, ainsi qu’il est démontré dans la partie ci-devant qui est sous-lignée ; pour lors il faut lire le dessein une fois sur les quarante cordes qui doivent faire la figure, & une fois de-suite sur les quarante qui doivent faire le fond, qui

est réservé pour le second coup de navette, dont la trame doit être très-fine, afin que l’étoffe soit liée, ou pour mieux dire, afin que les deux chaînes soient liées ensemble, sans quoi les fils qui ne seroient pas tirés badineroient dessus ou dessous l’étoffe.

Si, au contraire, les fils sont passés dans les ligatures, ainsi qu’il est démontré dans la partie qui est souslignée ; pour lors quand le dessein est fait, il faut le translater, c’est-à-dire, que s’il est peint sur cinq dixaines, il faut le mettre sur dix, attendu qu’il faut toujours laisser la corde de fond entre celle qui se tire, c’est pourquoi il faut qu’il soit peint en deux couleurs, afin qu’on ne lise pas une corde d’une façon & une corde de l’autre, & que dans les endroits ou il faut prendre quatre, cinq cordes, plus ou moins, celle qui fait le fond ne soit pas prise, quoiqu’elle se trouve entre deux. Dans ce cas, on lit le dessein de suite.

Il s’ensuit, par ce qui vient d’être démontré, que les ligatures font le même effet que le corps, avec cette différence, qu’au lieu de 800 arcades, il n’y en a point du tout, au lieu de 1600 aiguilles, il n’y en a que 160, c’est-à-dire, deux aiguilles chaque lisse, il n’y a ni carrette, ni marches, ni calqueron.

La péruvienne n’a ordinairement que trois couleurs ; savoir celle des deux chaînes, & celle du premier coup de navette ; le second devant être d’une trame très-fine, & pour ainsi dire imperceptible, on fait des péruviennes à 40 portées doubles, à 40 portées simples, en observant qu’il faut toujours deux chaînes égales & de différentes couleurs.

La beauté de la péruvienne est qu’elle n’a point d’envers ; au moyen des deux chaînes, elle est aussi belle d’un côté que d’un autre, & c’est précisément ce qui la distingue de la prussienne. Par exemple : si une chaîne est pourpre & bleue, ce qui fera une figure bleue d’un côté, fera de l’autre une figure pourpre, & c’est précisément ce qui en fait le mérite principal. La couleur dans un habit de femme est-elle passée d’un côté, elle le tourne de l’autre, pour lors la robe paroît neuve ; il en est de même pour les habits d’homme ; c’est précisément cette singularité qui caractérise la péruvienne.

La quantité d’étoffes qui se fabriquent à Lyon à la petite tire, ou au bouton, est si considérable, que de dix mille métiers qui travaillent actuellement dans la fabrique en étoffes façonnées, il y en a au-moins la moitié dans ce genre ; il n’est point d’année qu’il ne paroisse quelque nouveauté dans ce genre d’étoffe, soit dans le méchanisme, soit dans le goût, c’est ce qui fait que l’étranger ne peut pas parvenir à l’imitation de la fabrique de Lyon, attendu qu’aussi-tôt qu’il s’est saisi d’un goût, incontinent il s’en trouve un autre.

On fait aujourd’hui des taffetas à bandes ombrées & carrelées, & avec des petits agrémens entre les bandes, sans qu’il soit besoin de tireuse, l’endroit dessus, & cela au moyen de six ou huit ligatures, qui sont disposées de façon que six ou huit marches placées à gauche sur le côté du métier en font l’embarras. L’ouvrier foulant la premiere marche à gauche avec le pié gauche de même, passe ses coups de navette en foulant les deux marches du taffetas qui sont du côté droit aussi long-tems, ou passe autant de coups qu’il veut donner d’étendue à son cannelé & à son carrelé, tandis que tenant la marche du côté gauche foulée, cette même marche faisant lever les ligatures qui sont faites à jour, & en conformité de la largueur des bandes, ces mêmes ligatures demeurent levées pendant les coups de navette qu’il passe. Il faut observer qu’une marche à gauche suffiroit s’il n’avoit qu’un cannelé, il n’en faudroit que deux pour le carrelé ; & lorsqu’il y en a davantage, elles ne sont des-