Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mauvais régime & l’abus des choses non-naturelles, soit de l’air, soit des alimens, soit le défaut d’exercice, contribuent beaucoup à attirer cette maladie. Les causes externes sont les vents du midi, ou le défaut de vent ; l’hiver trop doux ; les saisons inégales ; les froids violens & les chaleurs excessives ; l’air fort sec ou fort humide. Les maladies épidémiques avec bubons & phlegmons, sont des avant-coureurs de peste plus certains que des exhalaisons & des influences imaginaires.

La famine peut aussi être mise au nombre des causes ; parce que dans cette triste conjoncture, la même cause qui gâte les biens de la terre & qui amene la disette, doit produire la peste : d’ailleurs dans le tems de famine, on se trouve obligé de manger de toutes sortes d’alimens malsains, qui forment un mauvais sang, & les corps sont par conséquent plus disposés à la pourriture.

Quelques-uns attribuent la peste au tremblement de terre, parce qu’on a vu souvent des maladies malignes & fâcheuses succéder à ces tremblemens.

La cause véritable est la reception d’exhalaisons putrides dans l’air, qui viennent des pays chauds, & qui est aidée & fomentée par la disposition de nos corps. Leur mauvais effet se fait sur-tout sentir quand un vent chaud & humide soufle, ou bien quand elles sont elles-mêmes mêlées avec des vapeurs corrompues. C’est ainsi qu’arrive la peste en Egypte à la suite de l’inondation du Nil ; alors les eaux corrompues par une chaleur excessive, poussent des exhalaisons pestilentielles : les terres humectées & comme chargées de pourriture, sont très-mal saines.

C’est ainsi que les cadavres corrompus dans les grandes villes, pendant les sieges, ou dans les armées à la suite des batailles, infectent horriblement l’air ; les exhalaisons fétides & volatiles de ces cadavres produisent souvent des maladies malignes, mais elles ne produisent point la peste, sans un venin particulier qui est apporté des pays chauds, & qui mêlé avec elles leur donne un caractere pestilentiel.

Ce levain ne peut s’étendre si loin qu’au moyen de l’air qui lui sert de véhicule ; car l’air une fois infecté de ces exhalaisons, les porte avec lui & les communique à beaucoup de corps qu’il pénetre : ce levain même reste caché pendant longtems dans ces corps infectés, comme il est arrivé dans la derniere peste. C’est ainsi que l’on a vu des personnes tomber roides mortes, & frappées subitement de peste à l’ouverture seule des ballots empestés, déchargés de vaisseaux venus de l’orient.

Cependant ces exhalaisons n’infectent pas toute la masse de l’atmosphere, elles se dispersent & se jettent de côté & d’autre, à-peu-près comme la fumée ; de-là vient que la peste ne saisit pas tous ceux qui sont dans le même air, qui est néanmoins le véhicule du levain pestilentiele. Il faut une disposition, c’est à proprement parler la cause déterminante & dispositive de la peste.

Cause dispositive. En effet, tous les corps ne sont pas susceptibles de ce venin, il n’affecte que ceux dont les fluides & les solides sont disposés à recevoir l’infection ; si le corps n’a point cette disposition, il résistera à la contagion : ainsi tout ce qui sera capable de garantir nos solides & nos fluides contre la pourriture lorsque la peste regne, doit passer pour un préservatif.

La disposition à la pourriture est une cause qui aide l’effet de la contagion. Or la pourriture est un mouvement intestin de nos humeurs qui tend à en détruire le mélange, la forme & le tissu qui changent de nature. D’ailleurs si le sang se rallentit, cela seul suffit pour contracter ce mouvement de putréfaction ; c’est ce qui arrive dans le chagrin & le vice des premieres voies.

Ce venin de la peste agit fort différemment de celui qui agit dans la petite vérole, le pourpre, la fievre maligne & la dyssenterie. Ce venin agit sur les humeurs & les coagule, comme il paroît par les éruptions critiques.

Ce venin agit d’abord sur les nerfs, ce qui paroît par les symptomes, tels que la douleur de tête, la foiblesse, les nausées, le frisson, le froid extérieur avec feu externe à l’intérieur, le sang alors trouvant de la résistance sur les parties externes, se jette sur les internes.

La cause prochaine de la peste est donc l’action du venin sur nos solides, le développement de la pourriture des humeurs & de ce venin, & enfin son action sur les nerfs. Ces actions produisent l’érétisme du genre nerveux ; c’est de-là que vient la pourriture. Telle est la nature du venin pestilentiel, sans cette disposition vénéneuse, les exhalaisons n’ont aucune action dans le corps, elles y restent long-tems cachées & comme assoupies, à la fin elles transpirent & se dissipent sans produire aucun ravage.

Cet érétisme est une roideur dans les fibres, & une contraction semblable à celle qui y est excitée par les passions de l’ame, par tous les irritans, tels que les alimens chauds, les aromates & tous les stimulans ont coutume de produire. Cette roideur est augmentée par l’agacement des fibres que cause le venin ; celles-ci ébranlées contractent la maladie pestilentielle ; car l’exhalaison passant alors dans le sang & dans les humeurs, y fait éclater les différens symptomes de la pourriture.

Symptomes. Le malade est d’abord saisi d’un frisson suivi d’une ardeur d’entrailles ; souvent il n’est pas altéré, quoiqu’il sente une ardeur violente ; quelquefois la sueur est petite, & la soif extraordinaire. La fievre est fort inégale, mais la langue est seche & noire ; l’urine est aussi fort différente, souvent elle n’est point changée ; elle est dans quelques-uns rouge & ardente, dans d’autres claire & crue, dans quelques autres elle est trouble, & elle varie souvent dans un même jour ; tantôt elle est comme dans l’état de santé, d’autres fois sanglante ; quelquefois le malade est assoupi & dans le délire, d’autres fois il est accablé d’une cruelle douleur de tête, accompagnée d’insomnie avec des yeux enflammés, & le cœur fort resserre ; souvent le pouls est fort, d’autres fois il est foible & fréquent ; tantôt égal, tantôt inégal, & dans certains malades il est intermittent ; le malade est dans des inquiétudes & dans des agitations continuelles ; on apperçoit dans les tendons des soubresauts & des mouvemens convulsifs ; la vûe est troublée, & le malade est tourmenté de tintemens & de siflemens d’oreilles ; il y en a qui sont abattus au commencement de la maladie, d’autres conservent leurs forces jusqu’à la mort ; il y en a qui ont des dévoiemens qui résistent à tout remede ; les déjections en sont quelquefois crûes & fréquentes, elles sont comme de l’eau trouble ; dans certains malades on y trouve des vers ; d’autres ont des hémorrhagies par le nez & par la bouche, par les yeux, par les oreilles, par la verge, par la matrice ; d’autres suent le sang pur ; quelques-uns ont des vomissemens continuels ; d’autres ont des nausées & des dégoûts ; on voit dans la plupart des douleurs cardialgiques, le hoquet ; on en voit qui ont des taches de couleur pourprée, ou violetes ou noires, tantôt en petit nombre, tantôt en grande quantité, tantôt petites, tantôt grandes & presqu’exactement rondes ; tantôt sur une partie, tantôt sur une autre, souvent sur tout le corps ; il y en a beaucoup qui ont des bubons ou des charbons en différens endroits du corps. Ce sont là des signes évidens & très-assurés de la peste, sur-tout lorsqu’ils sont accompagnés de la fievre, ou qu’ils y surviennent.

Le diagnostic se tire des symptomes suivans :